Billet de blog 8 mai 2024

Coralie Pison Hindawi

Enseignante et chercheure

Abonné·e de Mediapart

L'armée israélienne a bombardé l'immeuble de Lina

Lina a mon âge, elle habite Rafah. Elle n'a désormais presque plus rien. Et pourtant, elle fait toujours partie des plus chanceux de Gaza. C'est qu'en temps de génocide, lorsque l'objectif est de tuer et de détruire la possibilité de toute vie normale, perdre son logement est un moindre mal.

Coralie Pison Hindawi

Enseignante et chercheure

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les nouvelles des deux derniers jours sur les 'évacuations' orchestrées par l'armée israélienne et le pilonnage de zones de Rafah se téléscopent brutalement avec les nouvelles familiales : ce n'est qu'une famille de plus, mais pour moi, c'est Lina. Elle a à peu près mon âge, elle habite Rafah. En décembre, elle avait déjà perdu 12 kg en deux mois (je n'ai pas osé prendre des nouvelles de son poids après ça). Elle n'a désormais presque plus rien. Et pourtant, elle fait toujours partie des plus chanceux de Gaza. C'est qu'en temps de génocide, lorsque l'objectif est de tuer et de détruire la possibilité de toute vie normale, perdre son logement est un moindre mal.

C'est un peu tard pour écrire ce billet, je lutte un peu contre ma fatigue. Mais comment aller me coucher sans écrire un mot sur Lina qui passe sa première nuit sous la tente avec ses filles ?

Que dire et que penser? Cela fait sept mois que l'offensive a commencé, sept mois que je pense toujours à Lina qui survit avec ses filles, en sursis dans ce qui est vraisemblablement l'endroit le plus dangereux sur Terre à l'heure actuelle : un endroit dans lequel civils et enfants sont bombardés, privés de nourriture, de médicaments; un endroit dans lequel les hôpitaux sont attaqués puis détruits; un endroit dans lequel une petite fille de six-sept ans peut mourir seule, dans une voiture encerclée par des chars, au milieu des cadavres de ses proches et dans lequel les deux ambulanciers venus la secourir sont tués eux aussi ; un endroit dans lequel des enfants peuvent être amputés sans anesthésie, un endroit dans lequel on a retrouvé des charniers de centaines de cadavres une fois les troupes israéliennes retirées; un endroit dans lequel une armée composées de jeunes hommes et femmes fringuants exécute des civils, arrête arbitrairement, détient et torture des gens, tous profils confondus.

Que dire et que penser lorsque l'on a l'impression d'avoir pensé sans répit jusqu'à la nausée et d'avoir déjà tout dit? Quand le message qui s'impose est invariablement le même, encore et toujours?

Que dire et que penser quand cela fait sept mois que d'ici et de toute la planète, nous sommes des dizaines de millions à nous mobiliser pour appeler à la fin de cette folie meurtrière? Quand, dans certains pays, comme en France, dans ce monde à l'envers, ce sont les manifestants qui sont inquiétés? Quand ceux qui font l'apologie de cette guerre de terreur - et considèrent que plus de 34 000 morts, dont plus de 14 000 enfants, sont un prix acceptable pour lequel on peut rendre le Hamas responsable - peuvent, quant à eux, continuer à déblatérer leurs horreurs sur les écrans sans aucune crainte de poursuite?

Ce n'est pourtant pas faute d'avoir des infos de sources fiables: UNICEF, Cour Internationale de Justice, UNOCHA, Médecins sans frontières, Amnesty International, Save the Children etc...

Que penser, que dire et que faire lorsque les choses sont si clairement atroces qu'il n'y a vraiment plus de place pour le doute et que certains, pour autant, s'acharnent à nier ce qui se déroule aux yeux du monde ?

Lina et ses filles, comme la plupart de leurs compatriotes, ne sont désormais plus protégées par les pierres d'un logement personnel. Notre responsabilité vis à vis des Palestiniens est à hauteur de leur vulnérabilité : on ne peut pas à la fois s'obstiner à nier le droit des Palestiniens à se défendre et s'abstenir de leur porter secours...

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