Comment réconcilier des estimations de mortalité distantes d'un facteur 50 ?
Dès que l'on parle d'épidémiologie et de chiffres en temps réel, la première chose à avoir en tête est qu'une erreur d'un facteur 2 arrive très facilement. Ce n'est la faute à personnes sinon aux maladies qui vont très vites et suivent des courbes exponentielles où, par exemple pour le Covid-19, le nombre de morts double en trois à quatre jours en début d'épidémie, cela rend les tâches de signalement et d'analyse très compliquées.
Le problème avec cette épidémie c'est que les estimations de mortalité des uns sont 50 fois plus élevés que celles des autres. Si on peut essayer de faire de la place pour 2 fois plus de monde que prévu, faire pour 50 fois plus est impossible.
Par exemple, les mortalités par classe d'âge présentées dans un article publié dans The Lancet, l'un des tout meilleurs journaux de recherche médicale, sont entre 0.65% pour les plus jeunes et 7,8% pour les plus anciens. Si l'on applique ces taux à la population française, en supposant un taux de personnes infectées de 65% (moyen terme de leur intervale de 50 à 80%), on obtient 509 000 morts pour la France (209000 en prenant toutes les estimations au minimum, plus d'un million si on prend les maximums).
En revanche, si l'on en croit cet autre article scientifique, publié certes dans un journal nettement moins bon mais par l'un des médecins les plus cités de la planète, le SARS-CoV-2 n'est pas plus méchant que les virus d'hiver habituels. La mortalité liée à la grippe étant de l'ordre de 10 000 morts pour la population française (entre 5000 et 20000).
En prenant l'estimé des uns par rapport à l'estimé des autres on obtient donc un facteur 50, et même entre les minimums "pessimistes" (200 000) et les maximums "optimistes" (20 000), on a un facteur 10. Vous comprenez la difficuté des pouvoirs publics pour dimensionner leur réaction à la crise ?
D'où viennent ces écarts ? A priori de manières différentes de voir le problème. Mon expérience de 15 ans d'étude de données publiques en tous genres, depuis la maladie de Chagas en amérique latine jusqu'à l'utilisation de pesticides en passant par les épidémies de punaises de lit m'a appris que quand les chiffres de sources différentes disent des choses aussi différentes, il y a sans doute quelque chose à comprendre qui va nous apprendre quelque chose d'important sur la maladie/le phénomène.
Le complotisme n'est pas seulement une attitude qui dresse les gens les uns contre les autres, c'est aussi une attitude qui empêche de comprendre le monde.
A suivre (autres explications et hypothèses de réconciliation à venir dans un prochain billet :-)