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Billet de blog 2 novembre 2014

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Un langage peut en cacher un autre

"Vendredi j'ai eu une panne de volets : je n'ai pas pu décoller." Si mon voisin de table m'a entendue prononcer cette phrase dans mon téléphone portable hier matin, tout sourire à la terrasse d'un café, il l'a sans doute traduite dans sa tête comme suit. 

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"Vendredi j'ai eu une panne de volets : je n'ai pas pu décoller." 

Si mon voisin de table m'a entendue prononcer cette phrase dans mon téléphone portable hier matin, tout sourire à la terrasse d'un café, il l'a sans doute traduite dans sa tête comme suit. 

Première version, si ledit voisin est bienveillant : "Tiens donc, vendredi cette jolie jeune femme au sourire ravageur - il est lucide, aussi - a, pour une raison que j'ignore, laissé ses volets clos pour paresser langoureusement, lovée au creux de son lit douillet. Etait-elle seule ? Etait-elle accompagnée ? Le mystère demeure. J'adorerais le percer. Et si je lui offrais un café ? " 

Deuxième version, si le voisin est parisien : "Ah d'accord, c'te feignasse a encore trouvé un prétexte pour rien foutre et rallonger son week-end. Genre : 'Chef j’peux pas venir bosser j’ai mal au bide et pis j’ai mal au crâne !’ Et qui c'est qui paie pour que cette grosse vache - il est aveugle, aussi - s'étale comme une baleine dans son pieu ? Le contribuable !! Moi quoi ! En plus leur café est dégueulasse ici putain ! Garçon ! " 

Cher voisin, quelle que soit votre humeur ou votre origine géographique, j'ai le regret de vous informer que vous vous vautrez dans l’erreur. De belle manière. Car cette panne de volets est non seulement survenue bien après mon réveil matinal suivi de mon lever qui ne l’était pas moins, mais elle aurait pu me coûter la vie. 

Je reconnais que j’ai un peu forcé le trait au téléphone. Je n’ai pas eu "personnellement" une panne de volets vendredi. Mon avion, si. Un Robin HR 200, dans lequel j’étais assise à la place du pilote - que je ne suis pas, loin s’en faut - et aux côtés de mon instructeur, aussi bienveillant qu’il est parisien. Comme quoi...

Arrêtés au point fixe, nous procédions aux ultimes vérifications d’avant décollage : commandes/magnétos/mixture/réchauffe carbu/ compensateur/directionnel bref, tout était OK. Point suivant : les volets. Ils doivent être inclinés à 10 degrés au moment du décollage. Je vous épargne les explications techniques, mais s’ils ne sont pas à 10°, la machine ne peut pas décoller, encore moins voler. Pour un avion, ça la fiche mal. Malgré nos multiples tentatives sur le loquet commandant les volets, ceux-ci sont restés immobiles à nous narguer, bloqués fermement sur leur position, qui n’était pas celle désirée.

Alors que le ciel et le soleil de Saint Cyr - dans les Yvelines - nous aveuglaient de leur duo bleu citron, nous avons, mon instructeur et moi, rappelé la tour de contrôle pour lui dire, en gros : « Houston, we have a problem », mais en français.  

Ensuite nous avons roulé jusqu'au hangar, aux commandes de ce drôle d’oiseau qui ce jour là refusait de s’envoler. Mon avion s’appelle Fox Romeo Yankee, pour les intimes. Son vrai nom est plus long, moins mignon. Il faut croire que vendredi après-midi Romeo avait en tête une autre Juliette. Ce n’est pas moi qu’il rêvait de faire planer, d’emmener effectuer un ou deux tours de piste pour admirer d’en haut les canaux bordant le château de Versailles.

Déçue mais pas rancunière, car j’étais en vie - ça reste ce qui se fait de mieux de nos jours - j’ai lavé puis nettoyé les ailes du capricieux volatile, son bec et sa verrière. Afin qu’il soit beau et propre pour son futur ou sa future pilote. Une fois ses volets réparés, bien sûr. Puis je suis rentrée chez moi par la terre, bêtement, dans les embouteillages, tandis que mon Romeo Yankee riait encore en douce de sa bonne blague. 

Ce matin j’ai ouvert les volets. Ceux de chez moi. Ils fonctionnaient parfaitement. Un court instant, depuis ma fenêtre grande ouverte sur un ciel changeant mais troué de bleu, j’ai fermé les yeux. J'ai eu la tentation de m’envoler, le nez au vent et la main sur la manette des gaz. Mais je me suis souvenue qu’un langage pouvait en cacher un autre. Il y a "volets" et... "volets".

J’ai refermé la fenêtre. J’ai souri.

Quelque part, au fond d'un hangar, un Romeo m’attend. 

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