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Corinne Klomp

Scénariste, autrice (radio, théâtre), script doctor, amoureuse du Brésil et chroniqueuse pour la São Paulo Review.

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Billet de blog 6 février 2013

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Un Pathé dans la mare

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Vous avez sûrement entendu parler de la dernière idée qui a germé puis éclos dans le cerveau (quoique) des dirigeants de Gaumont Pathé : faire payer certaines places de cinéma plus chères, au nom d’un service « Premium ».

Premium ! C’est le genre de mot qui en impose, illico. Premium ça sonne, ça fleure bon le luxe et la distinction sociale, premium comme premier de la classe, de la classe de ceux qui vont au cinémââââ et qui ne souffrent pas de s’asseoir sur des fauteuils ordinaires au milieu de gens ordinaires. Si en plus le film est ordinaire, vous imaginez le calvaire. Pour adoucir leur séance, Pathé leur propose de payer deux à trois euros de plus pour poser leur séant sur des sièges numérotés, plus douillets, mieux situés et… gris, couleur ô combien élégante comparée à l’autre, la rouge, d’un gueulard, d’un commun ! Face à un navet ces spectateurs peuvent donc dormir, comme vous et moi, mais avec les jambes allongées, les accoudoirs relevés (que font-ils de leurs bras en dormant, mystère), et des lunettes en 3D (pour donner du relief aux rêves), le tout pour une somme modique avoisinant les 16 ou 17 euros. 17 euros la sieste, ça vaut la peine. Difficile par les temps qui courent de trouver une chambre d’hôtel digne de ce nom à ce prix. J’ignore si Gaumont Pathé inclut le petit déjeuner et un service de blanchisserie (il y a des gens qui bavent pendant leur sommeil), mais je vais me renseigner.

 Ce service Premium ayant suscité un certain émoi chez nos concitoyens, j’ai voulu en savoir plus. Grâce à ma légendaire capacité d’investigation j’ai fini par trouver un usager de la salle Pathé, côté gris souris. Oui chers lecteurs j’ai rencontré, en exclusivité pour Mediapart, un Monsieur Premium, un habitué du fauteuil 37 (le numéro du fauteuil a été changé) du Pathé Wepler sis place de Clichy, à Paris.    

Cet homme, qui se nomme Hector (le prénom est le bon, mais c’est celui de son chien, cinéphile du dimanche) a accepté de témoigner à condition de conserver l’anonymat. Pour des raisons évidentes de sécurité, j’ai choisi de l’interviewer à mon domicile. Hector, accompagné de son caniche nain, a pris place gratuitement dans un fauteuil peu confortable non inclinable aux accoudoirs inébranlables à la couleur indéfinissable. J’avais pris soin auparavant de le rassurer sur le fait que je ne le prendrais pas en photo, que je ne le filmerais pas et que je n’enregistrerais pas sa voix. En clair, Monsieur Premium resterait incognito. Malgré tout il s’est présenté chez moi flou (tel Robin Williams dans Harry dans tous ses états, de Woody Allen), affublé de lunettes spécial éclipse et doté d’une voix déformée de vieille femme à faire pâlir de jalousie Anthony Perkins dans Psychose. Et il a tenu à me tourner le dos pendant tout l’entretien. Par peur des représailles, a-t-il dit. Cette situation n’était guère agréable mais j’ai pris sur moi, le désir de sortir un scoop journalistique étant plus fort que le reste, lui-même assez faiblard.    

Je reproduis ici l’intégralité de notre échange :

 CK : Pour beaucoup, le service Premium de Pathé sent le pâté. Afin de calmer le jeu, son PDG a déclaré à Télérama (toujours citer ses sources) : « On voit entièrement l’écran où que l’on se place, toutes les places sont donc bonnes en termes d’accès au contenu. Ensuite, on peut s’offrir le luxe de payer deux euros supplémentaires… » Qu’en pensez-vous Hector (aboiement du chien, heureux de s’entendre appeler par une voix suave) ?

 Hector : Je suis furieux. Encore un PDG qui n’a pas de XXX (censuré) ! Je ne veux pas que toutes les places soient bonnes ! Je ne paie pas un supplément pour que tout le monde puisse voir l’écran, XXX de XXX (censuré) ! Nous les Premium on est en train de se faire XXXX (censuré) profond, et on n’aime pas ça !

 CK : Mais alors, que voulez-vous Hec… (je m’arrête à temps, le chien se contente de remuer la queue) ?

 Hector : Moi client Premium, je veux que les fauteuils rouges de la populace soient garnis de punaises, aux pointes inversées. Moi client Premium, je veux que des employés mandatés par Pathé racontent aux rouges la fin du film, dès le début, qu’ils leur soufflent le nom de l’assassin à peine la lumière éteinte. Moi client Premium, je veux qu’on file aux rouges des lunettes de piscine pour les projections en 3D. Moi client Premium, je veux que chez les rouges on fasse asseoir des pauvres qui puent, comme ceux qu’on a virés d’Orsay, bien fait (aboiement d’Hector, le maître) ! Moi client Premium, je veux du pop corn Premium, des sodas Premium, des voisins Premium et du PQ Premium ! Moi client Premium je veux que les acteurs à l’écran jouent mal pour ces XXX (censuré) de rouges, que les décors soient nazes, le son pourri ! Moi client Premium, je veux un film Premium, rien que pour moi !

 CK : Attendez, ça c’est impossible, on voit tous la même chose à l’image, c’est le principe du cinéma…

 Hector : M’en fous des principes ! M’assois dessus, grâce à mon fauteuil Premium ! Aujourd’hui, avec les moyens qu’on a et les avancées de la technique, tout est possible. Y’a qu’à vouloir !

 Sur ce il s’est levé d’un bond et s’en est allé tout flou, flanqué de son caniche tout nain.

J’ai réfléchi après à son idée insensée de film Premium. Et je me suis dit, avec un effroi certain, que sur ce point il n’avait pas tort, Hector (cette rime est pauvre, c’est de saison). Il n’y a aucune raison que Gaumont Pathé n’accède pas un jour à sa demande. On n’arrête pas le progrès, surtout quand il recule. 

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