Ce 8 mars 2013 est jour de femme. Les médias sont de sortie. Ils foncent comme un seul homme à la rencontre de ces drôles de bestiaux que sont les représentantes de la gent féminine. Un peu comme à Noël, où les mêmes se passionnent pour les personnes âgées isolées, ou pour les sans domicile fixe qui célèbreront la naissance du petit Jésus sous la tente, mais sans les rois mages, l’or, la myrrhe et l’encens.
Les sceptiques diront qu’une journée consacrée à nos droits ce n’est rien, d’autres que c’est mieux que rien. Ce débat m’intéresse peu. Quand on me dit « femmes » j’ai envie de parler de chiffres, c’est plus fort que moi, même si dans la vie quotidienne je suis plutôt, écriture oblige, un être de lettres. Si je réfléchis, et en tant que femme ça m’arrive plus souvent qu’à mon tour, chaque matin chez le coiffeur, ou lorsque je vernis à raison de deux couches plus un fixateur mes ongles des pieds et des mains, ou laisse poser sur mon visage une demie journée un masque défroissant sans paraben, donc si je réfléchis, je me dis y’a pas, les femmes et les chiffres ça fait trois. D’ailleurs on nous le serine depuis toujours, dès notre entrée en crèche. Forcément, ça doit être vrai.
Aujourd’hui je pense (oui, aussi) avoir compris le nœud du problème : coté chiffres, les femmes sont condamnées par fatalité à l’erreur, à l’inexactitude. Pourquoi ? Alors là mystère, question de câblage sans doute, sûrement un coup de la génétique. Par exemple, là où l’homme a tout bon par nature, et gagne 100 euros, eh bien la femme, cette nouille, gagne 100 - 28% soit 72 euros ! Je jure que c’est vrai, c’est prouvé par une étude scientifique de l’INSEE publiée ce matin même. Entre nous, j’ignore comment on se débrouille pour ne pas arriver à 100, comme l’autre moitié de la population, mais le fait est qu’on reste largement en dessous, et qu’il n’y a pas de quoi pavoiser. Côté calcul, on est nulles. On devrait se faire offrir une calculatrice pour la fête des mères, au pire un boulier. En plus ça fait un bail, selon l’INSEE, que cette faute majeure persiste et signe, preuve qu’on n’apprend pas très vite, non plus.
Autre exemple, l’âge, à propos duquel la femme se trompe tout le temps, à un point que ça en devient gênant. A priori une femme connaît sa date de naissance, en cas d’oubli elle peut même jeter un œil discret sur sa carte d’identité ou son passeport. Pourtant, quand on lui demande son âge au débotté, en lui fournissant en plus un indice clé, genre nous sommes en 2013, eh bien… elle répond à côté cette cruche, et toujours en dessous, comme pour les salaires ! Même pas fichue d’effectuer une soustraction de base ! Ou alors elle noie la réponse dans une quinte de toux suspecte. Du coup les hommes évitent de lui poser la question, pour ne pas se taper devant les copains la honte d’obtenir une réponse erronée.
A la décharge des femmes, je reconnais qu’elles ne sont pas aidées. La société passe son temps à les embrouiller avec les chiffres. Ainsi, je ne peux pas ouvrir une page Facebook sans être assaillie de publicités avec des slogans comme : « Femme de 49 ans en fait 29, grâce à une astuce simple qui vous donnera un air plus jeune en quelques minutes » ; « Perdez 11 kilos en 1 mois sans effort », etc. Si je veux suivre ces injonctions je dois œuvrer pour atteindre des chiffres faux, des chiffres qui ne sont pas moi, et les revendiquer ensuite comme une victoire sur l’adversité, une avancée majeure vers ma félicité. En clair c’est formidable, quand on est femme, de vivre en dessous de son âge véritable, et de son poids naturel. Fidèle à cette logique du « toujours moins », ça devrait donc être formidable de gagner moins qu’un homme, cf plus haut. Eh ben non, là ça coince, c’est même fortement déconseillé. Au point que la ministre des droits des femmes, Najat Vallaud-Belakacem, menace de sanctionner d’ici six mois les entreprises qui ne lutteront pas efficacement contre les inégalités de salaires. Allez vous y retrouver, dans un micmac pareil ! Pas étonnant que le sexe faible ait les neurones en surchauffe. Déjà qu’ils sont pas en surnombre !
Dernier exemple, tout frais tout chaud. Cette semaine sort sur nos écrans le film « 20 ans d’écart ». Cette comédie, que je n’ai pas vue et qui semble jouir de bonnes critiques, traite de la différence d’âge entre un homme et une femme. Le vieux dans l’histoire, c’est qui ? Pas évident en regardant l’affiche qui les montre en train de s’embrasser, tant les deux semblent jeunes. En vrai le vieux, ou plutôt la vieille, c’est Virgine Efira. Dans le film elle a 38 ans, son amant Pierre Niney 19, d’où le titre. Première information, le réalisateur considère qu’une femme est, disons… mûre, à 38 ans. OK. Là où ça devient marrant, c’est quand elle prend les traits de… Virginie Efira justement, à savoir ceux d’une femme très belle, pulpeuse, sensuelle, à la plastique irréprochable. Une créature capable de foutre la honte à un rassemblement de bimbos de 20 ans grand maximum. Du reste, dans la bande annonce, elle fait exactement ça, Virginie. Juchée sur des talons, moulée dans une robe décolletée, lèvres purpurines et tignasse blonde au vent, sexy en diable, elle déboule à la fac pour voir le jeune Pierre. Sur son passage, la mâchoire des jouvenceaux se décroche et la mine des jouvencelles (mal attifées, peu maquillées) s’allonge. A nous d’en déduire que l’arme de séduction massive de la femme, qu’elle ait 7 ou 77 ans, demeure la sainte trinité : sa bouche, ses seins, son cul. Peut-être que dans le film Pierre Niney craque en vrai, ou en plus, pour la culture, l’expérience, l’humour, le recul de Virginie, et pour toutes ces qualités qu’on accumule à mesure que le temps passe, mais j’ai comme un doute. C’est un film sur la différence d’âge, mais une différence d’âge qui ne se voit pas, ou alors à peine hein. Du reste, dans la vraie vie, Virignie Efira a 36 ans (elle a accepté de « se vieillir » pour le rôle, peut-on lire çà et là, sans rire) et Pierre Niney 24. Ils ont seulement 12 ans d’écart.
Une fois de plus le compte n’est pas bon. Interrogé sur cette bizarrerie par Allô Ciné, David Moreau, le réalisateur, déclare : « J’avais déjà essayé de faire le film avec des actrices un peu plus âgées, mais ça ne l’avait pas fait. » Ah bon, pourquoi ? Là c’est moi qui pose la question, car la journaliste n’insiste pas, à quoi bon faire son métier… Dommage, cela m’aurait intéressée de savoir ce qui « ne l’avait pas fait », avec les autres comédiennes. Sont-ce leurs rides visibles en gros plan, malgré le lifting ou le botox auxquelles elles se soumettent pour espérer tourner encore ? Ou leur peau un peu flasque, en dépit de la liposuccion et de l’heure de gym quotidienne ?
Bon, je vous résume la chose : dans la vie une femme de 50 ans fait tout pour en paraître 30, mais au cinéma c’est à 30 ans qu’elle joue les rôles de quadras, voire de quinquas. Pigé ? Non ? Je sais, c’est dur. Au fond ce ne sont peut-être pas nous, les femmes, qui sommes fâchées avec les chiffres, mais les chiffres qui sont fâchés avec nous. Pour nous réconcilier, je propose de nous montrer plus intelligentes qu’eux, une fois n’est pas coutume, et de faire le premier pas vers l’exactitude. Je commence. Je suis née en mars 1966, nous sommes en mars 2013, je vais donc bientôt fêter… mes 47 printemps. Un peu que je sais compter ! Je n’ai nulle intention de perdre du poids, de l’âge, ou de gagner moins qu’un homme, à travail équivalent. Sur ce, vive le calcul mental, et la santé du même nom.