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Corinne Klomp

Scénariste, autrice (radio, théâtre), script doctor, amoureuse du Brésil et chroniqueuse pour la São Paulo Review.

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Billet de blog 8 avril 2013

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Tire la tronche, le rideau se lèvera!

Eurêka ! J’ai trouvé ! Je sais pourquoi je peine à monter mes pièces. Rien à voir avec la frilosité du milieu théâtral, ni avec le fait que je ne sois pas fille ou femme de. Non, question d’image. J’aurais pu y penser plus tôt, d’autant que j’écris pour l’image. C’est ballot.Le cœur de mon problème se résume ainsi : je souris sur les photos.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Eurêka ! J’ai trouvé ! Je sais pourquoi je peine à monter mes pièces. Rien à voir avec la frilosité du milieu théâtral, ni avec le fait que je ne sois pas fille ou femme de. Non, question d’image. J’aurais pu y penser plus tôt, d’autant que j’écris pour l’image. C’est ballot.

Le cœur de mon problème se résume ainsi : je souris sur les photos. Dès qu’on m’interviewe, les commissures de mes lèvres ont des démangeaisons d’aller titiller le haut de mes pommettes. Quand on me décerne un prix, comme cet automne à la SACD, c’est pire, je ris ! Je montre les dents… de contentement. Et ce avant la première gorgée de champagne. Andouille ! Entendons-nous, en tant qu’auteure ainsi fêtée par ses pairs j’ai le droit d’être gaie, je ne dois pas le montrer, point. A ma remise de prix j’aurais dû la jouer lèvres pincées, sourcils froncés, genre je réfléchis à la vie la mort la coiffure. A l’heure qu’il est, ma pièce Une saine inquiétude serait jouée.

Le ‘non sourire’, je croyais que c’était l’apanage des mannequins dans les défilés. Les femmes (comme les hommes) ne sourient jamais sur les podiums, car le moindre étirement labial ferait craquer leurs os, ou les fringues taille dix ans qu’elles portent cousues à même la peau. Pour défendre la jupe aux genoux, le retour du corset ou la robe de mariée pour tous, elles doivent tirer une gueule à la Poutine, ainsi va la vie.

Les grands patrons sourient peu eux aussi, la faute aux actionnaires. Encore que Bernard Arnault me semble moins crispé depuis qu’il a mis ses billes en Belgique. Le plat pays défroisse les traits. Quant aux hommes politiques, ils ne sont pas non plus les champions du sourire vingt quatre pistes. Lorsqu’il mentait, Jérôme Cahuzac ne souriait pas. Maintenant qu’il ne ment plus ( ?), il ne se déride pas plus. Sur ce point au moins il reste honnête, et droit.

Que ces franges de la population gardent la maîtrise de leur rictus sévère, soit, leur vie n’est pas folichonne. Mais les auteurs ! Eux qui se nourrissent d’inspiration et d’eau fraîche, eux qui se lèvent un jour sur trois, ils devraient rigoler à plein sur les photos. Non plus. La preuve par les images. Je préviens les lecteurs sensibles que certaines d’entre elles peuvent choquer. Ça fait mal, un monde qui s’effondre.

Commençons par Florian Zeller, auteur contemporain français qui triomphe actuellement au théâtre privé à Paris avec deux pièces, portées par des stars comme Robert Hirsch et Fabrice Luchini. On pourrait supposer qu’il soit un brin jouasse, non ? Regardez :

J’ai mieux ! Edward Bond. Auteur anglais à fort succès, plutôt branché théâtre public :

  Avec une photo pareille, on n’a pas envie de lui taper sur l’épaule, ou de l’interpeller :

« Dis donc Edward, cette nouvelle pièce, ça avance ou bien ? »

Pour compléter ma démonstration, j'enchaîne avec Yasmina Reza :

Eh bien quoi me direz-vous ? Elle sourit, elle !

Justement.

Elle n’est plus trop jouée ces temps-ci. Ne cherchez pas, l’explication vient de là.

Histoire d’en avoir le cœur net, j’ai cherché des portraits de Molière et de Shakespeare. Eux deux ils assurent à fond, de beaux gros monstres sacrés. Théâtre privé théâtre public ils sont joués partout, tout le temps. Je vous dis pas comment ils ont dû grenouiller, réseauter ! En plus ils sont morts, donc pour vendre leurs salades dans les cocktails professionnels ils sont salement handicapés, par rapport à moi. Malgré ça, ils font salle comble. Pourquoi ? Ils sont coincés des zygomatiques, du moins sur les représentations officielles : 

(Molière)


                                                                                                                       (Shakespeare) 

Alors, convaincus ? 

En tout cas, j’ai retenu la leçon. Voici ma photo officielle pour les trente ans à venir :

J’aime son côté my-stérieux mi-sérieux. On voit qu’un œil mais quel œil, et le bon ! Sûr qu’on ne va pas me demander ma recette de tarte tatin ou l’adresse de mon chauffagiste. J’en impose trop.

Non seulement je ne souris pas, mais en plus je ne suis même pas sûre que ce soit moi. Si mes pièces ne sont pas toutes créées demain dans de grands théâtres, j’arrête tout. 

 Une chose me tracasse, c’est le jour où la gloire va pointer son nez. Des jaloux vont sûrement exhumer mes photos compromettantes. Je ne parle pas de clichés dérobés me montrant dans le plus simple appareil ou dans une posture délicate avec une imprimante 3D, mais de photos de moi… souriante ! De quoi foutre ma carrière en l’air. Tant pis, je paierai le prix mais je les rachèterai. Une à une. Pour les détruire.

Quand on est auteur, on ne plaisante avec son image. Tiens, ça me fait penser, je dois refaire mon passeport. Chouette, encore une photo où je vais pouvoir tirer la tronche ! 

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