Mardi 15 janvier 2013, la nouvelle est tombée. D’ici à fin 2016, Renault prévoit 7 500 suppressions de postes en France. Mais le constructeur automobile s’étrangle si on ose le comparer à son rival PSA, lequel prévoit de supprimer 9 500 emplois d’ici à 2014 et de fermer son usine d’Aulnay-sous-bois. Pourquoi ? Parce que chez Renault, il ne s’agit pas d’un plan social. La direction affirme qu’il n’y aura ni fermeture de site, ni plan de départ volontaire, ni licenciements secs à condition tout de même, nous y voilà, qu’un « accord social » soit signé. OK c’est dit, mais alors il y aura quoi dans ces 7 500 suppressions de postes ? Très simple, elles seront constituées de 5 700 départs naturels et de 1 800 qui le seront, si j’ai bien compris, un peu moins. 5 700 plus 1 800 ça fait… 7 500. Le compte est bon. Façon de parler.
Dans cette annonce coup de tonnerre, ce qui me frappe le plus c’est l’expression « départ naturel ». Non que je ne l’ai jusque là jamais entendue, elle fait bien sûr référence au système de départs anticipés à la retraite. Mais son association avec ce nombre énorme de personnes (5 700) m’interpelle, puis me questionne.
En vrai, ça consisterait en quoi un départ naturel ?
Le premier auquel j’ai pensé, c’est la mort. Je sais, pour se motiver alors qu’il fait dehors un froid à ne pas sortir un ours polaire, on a vu plus gai. Tant pis. La mort, donc. Imaginons qu’un salarié de Renault vienne travailler aujourd’hui, que ce soir il rentre chez lui puis meure dans la nuit, eh bien demain il y a fort à parier qu’il ne se pointera pas au boulot et ne fera plus jamais partie des effectifs. A noter un paradoxe intéressant : le départ du salarié, bien que brutal, est ici garanti 100% naturel, même si sa mort ne l’est pas. En clair, qu’il se soit éteint face à Plus belle la vie ou qu’il ait été sauvagement poignardé par son voisin ou encore victime d’un empoisonnement alimentaire à cause d’un steak avarié, le résultat pour son entreprise est le même : elle est débarrassée de lui. Certes, un patron qui veut licencier ne peut compter sur une telle chance (multipliée par 5 700, on rêve !) pour gérer sa boîte. Et puis, on ne joue pas avec les emplois comme on joue aux dés, pas vrai ?
J’ai ensuite songé à une autre analogie. Un départ naturel aurait-il quelque ressemblance avec le jeu naturel d’un acteur ? Vous savez, quand on ne voit pas qu’il joue la comédie et que l’on s’extasie sur sa capacité à nous faire croire qu’il est (était) un héros de western de série B alors qu’il est (était) Président des Etats Unis. Un jeu naturel pourrait, me semble-t-il, grandement faciliter un départ naturel. J’invite donc les dirigeants de Renault à embaucher au plus vite (sans contrat, ils ont l’habitude) des intermittents du spectacle qui formeraient leurs salariés afin que ceux-ci dégagent, avec un « naturel confondant ». Bien coaché en effet, le salarié quitterait son poste en fin de journée l’air de rien, sifflotant sur l’air des sept nains, dissimulant subtilement dans un pan de son blouson un carton avec ses quelques affaires personnelles. Un départ là encore 100% naturel qui ferait dire le lendemain à son collègue encore en poste : « Son départ ? Je ne l’ai pas vu venir ! »
J’en étais là de mes réflexions profondes quand j’ai entrepris de chercher sur le net ce qui sortait en pianotant sur mon clavier ces mots : départ naturel.
J’ai d’abord atterri, via le Forum de 30 millions d’amis, sur un message posté en mai 2011 portant l’en-tête départ naturel d’un chien. Intéressant. En voici la teneur : la chienne Paty se déplace à peine, ne se nourrit plus, pour cause d’ulcères à l’estomac. Le verdict du veto est sans appel, ça va empirer. Décision est prise de venir piquer la pauvre bête. Son maître (ou sa maîtresse, impossible de trancher) est dévasté, normal. Un abonné a cette réaction bienveillante et sensée, il écrit : « Paty sera enfin délivrée de ses souffrances. » Bien sûr. Mais tout de même, avouez que le titre du message est trompeur. Le départ de cet animal n’est pas si naturel que ça, puisqu’on décide à sa place d’abréger son calvaire. Impossible de ne pas faire le parallèle avec le salarié de Renault auquel on va donner une légère impulsion pour le pousser « naturellement » vers la sortie. Reproduite sur 5 700 personnes, l’impulsion perd d’un coup sa discrétion, non ? J’imagine une photo qui montrerait le départ naturel de 5 700 employés légendée à la Magritte : « Ceci n’est pas un plan social. »
En continuant mon surf je suis tombée ensuite sur le site d’un vigneron : Château Tour Grise (appellation Saumur) : « Cette cuvée a macéré de façon traditionnelle quelques jours seulement afin de favoriser le départ naturel des fermentations. » En langage d’entreprise cette phrase se traduirait par : « Le plan de Renault a macéré de façon traditionnelle au sein de la direction seulement afin de faire avaler le départ naturel des salariés les plus âgés. »
Mais sur le net, la perle que j’ai dénichée c’est… Mr Pearl (ça ne s’invente pas) dans Wikipédia. Mr Pearl, c’est le pseudonyme d’un certain Mark Pullin, corsetier contemporain renommé qui vit à Paris. Il travaille seulement sur demande pour des créateurs de mode (Thierry Mugler, Vivienne Westwood…) ou de riches célébrités (Victoria Beckham, Kylie Minogue…). Mais ce qui le rend vraiment spécial (ou dingue, au choix), c’est qu’il pratique lui-même le tightlacing, à savoir le port d’un corset lacé très serré. 23 heures sur 24 et 7 jours sur 7, le bon Mr Pearl vit de son plein gré avec cet « accessoire » qu’il serre au fil du temps, dans le but de réduire sa taille. Ses efforts sont récompensés, car après onze ans de ce port à corps le voici devenu, à cinquante ans passés, l’homme avec la taille la plus fine du monde, soit 46 cm pour un départ naturel (le voilà !) de 78 cm.
Je n’ai pas vu sa photo, dommage, car Mr Pearl a de quoi faire rêver la direction de Renault, de PSA et tous les dirigeants qui trouvent que leurs entreprises – et non leurs propres rémunérations, car il y a bonne et mauvaise graisse, attention – sont trop dodues au niveau de la taille… du personnel, replètes côté masse salariale. De source très mal informée, on me dit que Mr Pearl sera prochainement engagé comme expert corsetier chez Renault, en contrat à durée indéterminée. Le tightlacing, management des temps modernes ?