Pourquoi créer mon blog sous le label « Une saine inquiétude » ? Pour deux raisons : c’est d’abord le titre de ma dernière pièce de théâtre, qui traite du suicide en entreprise et du harcèlement moral. Je vais donc entreprendre dans ces colonnes, parmi d’autres billets d’humeur, de raconter mon parcours ainsi que mes difficultés d’auteure contemporaine pour monter de nos jours une œuvre porteuse d’une thématique aussi actuelle que crue.
La deuxième raison est qu’une saine inquiétude me semble une expression parfaite, un oxymore qui sait, pour qualifier l’état de veille angoissée dans lequel nous nous trouvons ou devrions nous trouver.
Fin novembre j’ai eu le bonheur et l’honneur de recevoir un prix, qui m’a été remis dans les somptueux salons lambrissés de la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques), sise dans le 9ème arrondissement de Paris. Ce prix est décerné par la Fondation Jean-Manuel Bajen (homme d’affaires bordelais devenu directeur du Théâtre des Variétés), qui a pour objectif, je cite d’après le site, « de faire vivre le théâtre et de faire entendre sa voix, en le tournant résolument vers l’avenir afin de lui conserver la place qui est la sienne dans la cité. » L’auteure que je suis applaudit. D’autant que la fondation Bajen a eu l’excellente idée de distinguer ma pièce « Une saine inquiétude », et à travers elle le Nouvel Auteur de Théâtre 2012, moi en somme. Comme j’ai reçu de plus un chèque de cinq mille euros, que j’ai lors de cette cérémonie glané quelques contacts utiles avec des professionnels et que le champagne coulait à flots, inutile de préciser que j’ai passé une joyeuse et émouvante soirée.
Depuis, je m’efforce de faire exister ma pièce pour de vrai sur une scène de théâtre française, ou belge pourquoi pas, puisque la Belgique en ces temps de crise paraît dotée de séduisants appâts. Je me rends compte que, sans champagne et sans relations, la tâche est ardue. Mais j’y reviendrai plus tard.
Peu de temps après avoir été célébrée, je reçois un courrier électronique co-signé par la SACD et une autre fondation, la fondation Paul Milliet. Cette fondation Milliet, qui a pour origine le legs d’un ancien vice-président de la SACD, développe une aide sociale pour les auteurs en grande difficulté. Elle contribue également à concrétiser d’autres projets, comme la réhabilitation d'une maison de retraite réservée aux artistes et l'ouverture d'un établissement accueillant des malades du sida. Depuis mon adhésion à la société des auteurs en 1999 c’est la première fois que je suis ainsi sollicitée.
Dans leur lettre, Jacques Fansten et Jean-Paul Alègre, présidents respectifs de la SACD et de la Fondation Milliet, lancent un appel à la solidarité qui résonne furieusement comme un appel au secours. Ils regrettent, s’excusent presque de nous contacter aussi tardivement (il faut envoyer ses dons avant le 31 décembre), arguant que les demandes d’aides émanant d’auteurs en détresse se sont accrues considérablement et brutalement.
« Nous savons, écrivent-ils, les uns et les autres, combien une carrière d'auteur peut connaître des aléas. Quand des auteurs voient leurs revenus chuter dramatiquement, ils n'ont pas de recours. Nous nous devons de développer cette solidarité entre nous. »
En rédigeant mon chèque, je repense au film magnifique de Julien Duvivier « La fin du jour », son préféré je crois, dialogué avec grâce par Charles Spaak. Un bijou de justesse, de drôlerie et d’émotion, servi par le talent de Victor Francen, Michel Simon, Madeleine Ozeray, Louis Jouvet et tant d’autres. C’est l’histoire d’une maison de retraite menacée de fermeture et de ses occupants, des comédiens sans ressources ressassant leur gloire passée, leurs regrets et rancœurs. Avec en toile de fond la précarité et la solitude comme mamelles un peu trop banales de la vie d’artiste.
J’espère que la SACD et la Fondation Milliet ont envoyé leur lettre à Gérard Depardieu. Car les dons sont déductibles de l’impôt sur le revenu 2012, à hauteur de 66% du montant versé. En voilà une bonne nouvelle. Et puis on ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve, pas vrai ?