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Corinne Klomp

Scénariste, autrice (radio, théâtre), script doctor, amoureuse du Brésil et chroniqueuse pour la São Paulo Review.

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Billet de blog 20 janvier 2016

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Ma parenthèse enchantée avec Ettore Scola

Juin 2012. La SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques) a l’excellente idée d’inviter à Paris Ettore Scola, le réalisateur et scénariste vivant que j’admire le plus, pour lui remettre un Prix européen. J’arrive en avance, je me glisse dans les premiers rangs du public, qui attend debout dans les somptueux jardins. Quelle heure est-il (1989) ? Peu importe...

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Le maître est là, à quelques marches de moi, sur La Terrasse (1980). Elégant, le cheveu blanc impeccablement coiffé, classe absolue. Splendor (1989). Un fin sourire aux lèvres, un soupçon de nostalgie dans le regard. L’Homme aux cent visages (1960). Je sens la pelouse se dérober sous mes pieds. L’humidité du sol ? L’émotion?

Scola reçoit le prix, dans mon souvenir un rouleau de parchemin décoré d’un ruban. Il remercie, ému. Mesdames et messieurs, bonsoir (1977), etc. Il ajoute qu’il est heureux de recueillir une récompense sous la forme d’un papier. Cela le change des statuettes et autres objets « expérimentaux » qu’il a récoltés au cours de sa carrière, et qui faisaient frémir d’horreur sa femme lorsqu’il les ramenait à la maison. Rires dans le public, conquis. Le moyen de faire autrement ? Fin du discours. Applaudissements nourris.

Déjà une foule se presse autour de lui : La Famille ? (1987) Je soupire, Concurrence déloyale (2001). Mon cœur bat la chamade, je me revois à dix ans visionner pour la première fois Affreux Sales et Méchants (1976) au Cinéma de Minuit. En moi, la petite fille se réveille en fanfare, elle m'exhorte à gravir les marches pour l’aborder. « Cet homme a marqué ma vie, la tienne, la nôtre quoi, il faut lui dire ! » L’adulte : « Mais il s’en fout ! » La petite fille : « Lui peut-être, pas moi ! ».

Je décide de la faire taire, fichue demoiselle qui veut toujours avoir le dernier mot. Je tente de me frayer un chemin jusqu'à lui, pas simple. L’adulte joue des coudes, prête à distribuer des claques, la petite fille trépigne : « Vas y ! » A deux on est plus fortes, quand même. Nos héros réussiront-ils à retrouver leur ami…(mystérieusement disparu en Afrique, 1968) ?

Soudain Ettore Scola apparaît devant moi. Son regard effleure mon visage, une façon de demander : on se connaît ? Je reste pétrifiée, la petite fille gueule, je ne l’entends plus. Je parle, vite, je mitraille cet homme de mes mots de peur qu’il ne m’échappe, qu’il aille en écouter une autre que moi. Je vole quelques secondes de sa vie pour le remercier d’exister, d’avoir créé, écrit ces films qui m’ont construite, qui m’ont aidée. Je lui dis que son cinéma est la plus belle des philosophies. Un jour tu pleures, un jour tu ris, parfois tu fais les deux à la fois, un sacré « casino » (bordel), mais ça me va. Je me guéris de mes gamelles, j’apprends la vie grâce à ça. Grâce à lui, et à l'insolente bande de génies du grand cinéma italien. Je conclus en bafouillant un nouveau merci, prête à m’éclipser. Ou à le voir s’éclipser. Mais L’éclipse c’est pas lui, c’est Antonioni. Lui il reste, face à moi. Il me sourit, me tutoie dans un clin d’œil :

« Et l’italien, tu le parles bien, tu l’as appris grâce à qui ?

- Grâce à un Macaroni (1985), un beau Milanais dont je suis tombée « énamourée » à l’adolescence. C’eravamo tanto amati (1974) !

- Ah, l’amour ! La plus belle façon de se plonger dans une langue étrangère…Tu ne crois pas ? »

Si, je crois. J’ajoute qu’à chaque fois que je tombe amoureuse, d’un homme venu d'ailleurs ou d’un pays, j’apprends sa langue, c’est plus fort que moi. Il sourit, même, il rit. Je ris aussi, tandis que la petite fille à l’intérieur fait des bonds, à force j’en ai mal au cœur d’être heureuse. A côté les autres s’impatientent, qu’est-ce qu’elle lui veut celle-là ? Drame de la jalousie (1970). Tout m’est égal je suis la reine du Bal (1983), je parle avec Ettore Scola. Passion d’amour (1982), voilà.

Sur ce il me prend par l’épaule, protecteur, séducteur, toujours ce dosage subtil à l'italienne : « Facciamo la foto ! »

Je jette mon téléphone portable à l’ami qui m’accompagne et qui m’observe depuis un moment avec une bienveillance amusée. Du bonheur d’être entourée de belles personnes.

Une seule prise, une seule photo. Deux sourires, deux vies croisées. Une journée particulière (1977)...

Avant de le quitter, je demande à Ettore Scola de saluer pour moi la Gente di Roma (2003). Il sourit, promet. Hier, il lui a dit adieu.

(En prime, le lien vers un autre billet sur un blog ami, tenu par l'ami qui a pris la photo : http://nosconsolations.blogspot.fr/2016/01/fini-le-cinema.html)

Illustration 1
Ettore Scola à la SACD, juin 2012 © Corinne Klomp

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