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Corinne Klomp

Scénariste, autrice (radio, théâtre), script doctor, amoureuse du Brésil et chroniqueuse pour la São Paulo Review.

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Billet de blog 29 mars 2014

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La vie est une mammographie

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En ces temps de débat sur l’égalité hommes femmes, la parité et la théorie du genre, nul ne conteste l’affirmation suivante : la femme a des seins. L’homme aussi, mais moins. Du coup c’est comme s’il n’en avait pas. Il ne porte pas de soutien-gorge, ou alors dans des soirées spéciales, il se fiche de la forme de son mamelon et ne vendrait pas sa mère pour des implants mammaires. Corollaire, l’homme ne subit pas la mammographie. Subir oui, même si le médecin, généralement gynécologue, prescrit à la femme de passer cet examen. La première fois, soit, elle le passe. Comme une vulgaire radio. Ensuite, quand elle sait ce que c’est, ce que ça fait, elle change de vocabulaire, elle opte pour la précision, elle choisit son verbe.

La mammographie. Surnommée mammo pour adoucir la chose, la rendre anodine limite sympa, m’attends pas pour l’apéro j’ai ma mammo ! Grand moment de solitude. Même si tu as la chance d’être accompagnée, par un mari, un amant, une copine, ou un bon bouquin. Quand vient ton tour, la salle d’attente se vide de toi et de toi seule, la mammo tu la subis en monôme. L’autre, venu là pour et avec toi, il reste assis, il t’enveloppe d’un regard bienveillant, il te sourit pour dire ça va aller mais il n’en sait rien, toi non plus à ce stade. Pourtant tu fais semblant d’y croire, la tentation est forte, ce n’est qu’une formalité ça se passera bien, jusque là tout s’est tellement bien passé. Si tu es toute seule, ta petite voix intérieure, celle de l’enfant insouciante qui sommeille en ton cœur, se met à jouer avec conviction et malice le rôle qui te rassure et tient en quatre mots : tout ira au poil.

Les radios sont en cours. Face à la jeune nana qui presse des seins à longueur de journée tu crânes, chaque fois tu fais ça c’est complètement con pourquoi ? Tu ne cries pas, tu oses à peine grimacer lorsque cette maudite plaque écrase, pour un peu elle va l’éclater, ton sein droit puis le gauche, le plus douloureux il en faut un c’est normal il paraît. Tu n’as qu’une envie c’est gueuler, putain de bordel de merde arrêtez ça tout de suite !, mais non, rien. Docile, conditionnée à réprimer toute manifestation de douleur depuis qu’il est écrit qu’elle est incluse dans ton forfait enfantement, parfaitement femme donc, tu te contentes d’obéir à quatre reprises aux ordres monotones de la préposée aux plaques. Ne respirez plus… … Respirez…

Tu attends maintenant, dans une petite cabine. Seule encore, le torse nu et zébré de marques rouges, sur un banc inconfortable et froid. Etalés sous ton nez, des magazines pour patienter. Garantis 100% féminins, rien qui va t’exploser le cerveau, zéro danger. Quelques articles et plein d’images pour t’aider à atteindre davantage de perfection. Des dossiers qui t’expliquent comment maigrir rajeunir t’habiller séduire baiser. Des pages entières de filles avec des seins que tu n’as jamais eus et que tu n’auras jamais. Tu t’en fous. Tes seins tu les aimes comme ils sont, d’ailleurs tu n’es pas la seule, surtout tu veux les garder. Intacts.

Le docteur entre. Le radiologue. Il sait. Avant toi, le salaud. Dans ses yeux tu essaies de déchiffrer le verdict. Mentalement tu reproduis le leitmotiv martelé lors des radios. Ne respirez plus… Ton ventre se serre, ta gorge et tes mâchoires aussi, l’oxygène commence à manquer, malgré tout tu restes vaillante, digne, bien éduquée. L’expert s’exprime, avare de mots l’air blasé : RAS, revenez dans deux ans.  Respirez… Un peu que tu respires ! Au sens propre mais surtout au sens figuré, quel pied ! L’air et la joie se bousculent pour t’envahir à fond les ballons comme les supporters bariolés sur le stade à l’issue du match, dans tes poumons dans tes tripes dans ta tête c’est jour de fête. Tes seins n’ont jamais été si beaux, si vivants. Là tout de suite, ils mériteraient d’être flattés par des caresses, immortalisés par un selfie. Pas le lieu, dommage. Tu te promets de les honorer une fois rentrée à la maison. Tu ne le feras pas, l’esprit bientôt squatté par d’autres pensées, le bonheur supporte mal le différé. Parfois, hélas, ça se passe autrement. Ne respirez plus… Le docteur a détecté une tache une grosseur on distingue mal un truc qui cloche quoi. Ah. Dans ton agenda vital c’était pas prévu. Tu entends un mot sur deux… nouvel examen… kyste ?… cancer ?… Tu n’entends plus. Respirez… Hein ?! Tu respires OK, bien obligée, mais du bout des narines, en dégoûtée, par politesse envers ton corps mais le cœur n’y est pas, et puis quoi encore ? Te voilà partie pour une batterie d’analyses complémentaires qui t’emmèneront… où ? T’en sais fichtre rien.

La vie est une mammographie. Pour chacun de nous. Homme, femme, autre, peu importe. Elle te plaque elle te presse elle te fait mal. Elle te libère elle te propulse elle te ravit. Elle suit le rythme d’un refrain paradoxal. Ne respirez plus… … Respirez… Il résonne en toi plus ou moins fort, selon les circonstances, les occasions. A l’annonce d’un plan social, des résultats du bac ou des élections, de la liste des morts dans cet accident de car. Tu l’entends quand tu déclares ton amour, quand tu testes une nouvelle recette, quand la vendeuse vérifie s’il reste ta taille dans cette robe, quand la victoire se joue au tie break, quand tu attends un appel un mail un texto un signe un regard, quand tu fais lire ta dernière pièce... Ne respirez plus… … Respirez… Jusqu’à l’injonction finale, émanant du tout puissant pour les uns, de la nature pour les autres, avec une modification de taille : la répétition. Ne respirez plus… … Ne respirez plus…

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