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Corinne Klomp

Scénariste, autrice (radio, théâtre), script doctor, amoureuse du Brésil et chroniqueuse pour la São Paulo Review.

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Billet de blog 30 mai 2013

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Où sont les vieilles jeunes femmes ?

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Impossible de ne pas remarquer dans les médias la vague frondeuse que des femmes font déferler, et sur laquelle surfent aussi des hommes. Tant mieux, car si l’une ou l’un boit la tasse ou, pire, se noie, l’autre sera là pour lui faire recracher l’eau trop vite ingurgitée, ou hisser son corps vers des rivages qui chantent. Au cœur de cette vague, une revendication simple, appuyée par un constat clair : la sous-représentation des femmes dans les milieux politiques, artistiques et économiques. Dernier exemple en date : le Festival de Cannes, qui confine les femmes en un défilé/concours de chutes de reins liposucés, de décolletés siliconés, jets de chevelures sauvages et affichages de mimiques botoxées. Si elles crèvent l’écran en tant que créatures, en tant que créateurs, pardon créatrices, elles ont encore du boulot avant de se rendre visibles. Du reste, un état des lieux des inégalités hommes-femmes dans le cinéma vient d’être commandé au CNC par la ministre des Droits des Femmes, Najat Vallaud-Belkacem. (http://www.liberation.fr/culture/2013/05/19/un-diagnostic-des-inegalites-hommes-femmes-dans-le-cinema_904063).

La route vers l’égalité parité joyeuseté est longue et semée d’embûches. Pourtant, il est un domaine dans lequel les femmes l’emportent haut la main sur les hommes : l’espérance de vie. En France métropolitaine à la fin 2012, les hommes pouvaient espérer vivre jusqu’à 78,5 ans, les femmes jusqu’à… 84,9 ans. D’accord, cette avance se réduit car la gent féminine aime se nécroser les poumons à coup de cigarettes non électroniques, mais elle tient encore la tête du peloton. En toute logique, à en croire les chiffres précédents, s’il est des femmes qu’on devrait admirer plus souvent à la une des médias, pour une fois qu’elles sont majoritaires quelque part, ce sont les vieilles. Non ? Non.

Malgré l’écrasante domination des vieilles, on entend surtout parler… des vieux. Sénescence de la population oblige, les médias adorent tenter de nous remonter le moral en nous citant en exemple ces « jeunes hommes » qui, malgré leur âge certain, continuent à nous surprendre et créent des films, pondent des livres, participent à des conférences ou sillonnent la planète pour nous transmettre leur vision du monde. Passionnant direz-vous, avec raison. J’ajouterais, revigorant. Oui, les vieux sont vivants ! Ayant eu la chance de croiser Stéphane Hessel, vénérant Alain Resnais et ne détestant pas Jean d’Ormesson, je me suis plu à songer plus d’une fois que vieillir ainsi, comme eux quoi, m’irait parfaitement, si tant est que je tienne jusque là.

Seulement je m’interroge : comment se fait-il que les hommes, même très vieux, nous volent toujours la vedette ? Où sont les « jeunes femmes » octo voire nonagénaires, dignes d’être érigées en modèle pour nous, nos filles et nos petites filles ? Quid des vieilles artistes, des vieilles politiques, économistes et chercheuses ? Celles à propos desquelles on se dirait : « plus tard j’aimerais lui ressembler » ? Elles ne sont quand même pas toutes cloîtrées en maison de retraite ou victimes d’Alzheimer, elles ont des choses à partager, à raconter. Pourquoi ne les voit-on pas ? 

Face à ce mystère je propose deux pistes d’explication. La première m’est soufflée par Geneviève Sellier, co-auteure avec Noël Burch de « La drôle de guerre des sexes du cinéma français », une étude qui souligne notamment qu’« au cinéma, les hommes ont le droit de vieillir, pas les femmes. » Rien d’étonnant à ce que cette pratique se généralise à d’autres médias. La deuxième raison de l’absence flagrante des vieilles est selon moi à chercher chez… les vieilles elles-mêmes. Endoctrinées par la tyrannie de l’apparence et de la beauté, nos aînées ridées rechignent peut-être simplement à se montrer.  Par peur de se faire traiter mentalement de vieilles peaux ou de lire dans notre regard (masculin comme féminin, car la femme se complaît fréquemment dans le rôle de son pire ennemi) quelque chose du genre : « putain ce qu’elle est tapée ! »

Boycott inconscient des médias ou auto censure personnelle, le résultat est le même, nos vieilles se planquent. Dommage. J’ai donc envie de leur dire, voire de leur crier, car à leur âge on s’en doute l’ouïe n’est plus ce qu’elle a été : allez les anciennes, sortez du bois, montrez-vous quoi, montrez-nous ! Faites comme cette vieille anonyme photographiée par  Katy Grannan en 2009 sur le boulevard 11 de Los Angeles.

J’ignore à quoi elle ressemblait avant, j’ignore si elle est toujours en vie, mais rien que pour avoir accepté de poser ainsi je n’ai qu’un mot à lui dire : merci.

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