«Truthwashing». Je propose cet anglicisme sous forme de néologisme pour décrire la pratique française actuelle de la politique. Le lavage de la vérité comme le lavage vert pratiqué par le business, qui veut avant tout continuer ses pratiques en faisant croire en plus qu'il est devenu vert, atteint l'apothéose avec le Grenelle 2.
Mais d'autres domaines sont bien placés pour remporter la palme : la justice quand il est affirmé que la suppression du juge d'instruction renforcera le droit des citoyens, la presse quand il est décidé de faire nommer le patron des médias par le Président aux lieux et places d'un organisme tiers même si son indépendance n'est pas parfaitement garantie améliore la démocratie, ou encore la fiscalité quand le pouvoir prétend que cette mesure est juste alors qu'elle aboutit à faire payer à la classe moyenne et plus généralement les salariés par toutes les augmentations de taxes....
Mais avec Grenelle 2, le gouvernement atteint un sommet d'hypocrisie en présentant comme une « cathédrale » ce qui n'est qu'un amoncellement de mesures techniques secondaires pour l'essentiel, ou de mesures sans aucune portée contraignante.
Et ce, alors que le Grenelle 1 constituait déjà un recul notable par rapport aux engagements présidentiels, et aux résultats de la procédure de concertation. Par exemple, tout le volet de la gouvernance, en particulier la question de l'expertise, dont on a vu les ravages qu'elle pouvait produire lors de l'affaire du vaccin H1N1, celle des lanceurs d'alerte, celle de la responsabilité pénale -pourtant depuis lors devenue une obligation communautaire - a été oublié. Mais Grenelle 1 est passé pour deux raisons : il ne touchait pas à l'essentiel c'est-à-dire au nucléaire, et il ne s'agissait que de grands principes avec peu ou pas de conséquences juridiques immédiates.
Le Grenelle 2 passait aux choses sérieuses, à savoir la fiscalité, les normes contraignantes, les obligations. Il n'est donc pas surprenant que le résultat soit ce que nous connaissons avec peu d'espoir- au contraire de vrais risques- que le texte soit encore amoindri.
Pourquoi ? D'abord parce que Nicolas Sarkozy et encore davantage l'UMP-mis à part quelques cas isolés- n'ont jamais été convaincus de la nécessaire mutation vers l' « écolonomie ». Ils se sont contentés d'adopter une posture dont ils ont pensé qu'elle serait électoralement payante. Elle ne l'a pas été. Ils l'abandonnent.
Ensuite, parce que les liens de l'UMP avec les grands lobbys - mais les liens avec le PS existent aussi- sont bien établis, à commencer par le lobby nucléaire dont la position est au cœur de l'échec inévitable du Grenelle, à continuer par celui de l'agrochimie, du pétrole et de la route, du BTP et de la communication. Dès lors, il n'était pas question de toucher sérieusement à quoique ce soit. D'où l'abandon de toute fiscalité verte, de toute contrainte publicitaire, de toute obligation d'étiquetage, de réduction obligatoire des pesticides.
Mais le plus grave vient sans doute de la relance du nucléaire qui rend IMPOSSIBLE tout développement sérieux d'une production électrique autre et d'une politique contraignante en terme d'efficacité énergétique, puisque la volonté politique secrète mais réelle est de continuer à favoriser le chauffage électrique pour assurer la vente de l'électricité nucléaire. D'où le coup d'arrêt à l'éolien, la suppression rétroactive des engagements pris sur les projets solaires photovoltaïques, la suppression des obligations d'efficacité énergétique dans la rénovation, et au contraire la dérogation donnée au nucléaire de se passer d'enquête publique pour accroître les risques et les rejets.
Mais tout ceci ne peut être avoué pour deux raisons : d'abord, le Grenelle qui devait permettre a minima à la France de rattraper son retard communautaire est loin de cet objectif. Il faut néanmoins faire croire, tant à l'Europe qu'aux citoyens français, que nous sommes devenus de bons élèves. C'est faux, et nul ne peut douter que la Cour de justice des communautés européennes, qui sera inévitablement saisie ne tombera pas dans le panneau.
Ensuite, parce que Jean Louis Borloo et le chef de l'Etat ont « vendu » aux Français une croissance verte créatrice de nombreux emplois. C'est évidemment un leurre compte tenu de la réalité du grenelle. Mais la situation économique et sociale française n'offre pas d'échappatoire.
Il faut donc poursuivre dans le leurre, et tant pis si 50% des citoyens n'ont pas voté et que leur immense majorité ne croient plus aux politiques ! Une fois de plus, la désinformation est reine au mépris de la démocratie, mais elle fonctionne de moins en moins bien.Ne nous étonnons donc pas de vivre dans un pays où la défiance est devenue une seconde nature.
Corinne Lepage est députée européenne et présidente de Cap-21