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Billet de blog 19 avril 2017

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DE BEAUX PETITS BEBES

Le 4 avril dernier, peu après l’attaque au gaz sarin menée contre la ville syrienne de Khan Sheikhoun, le président Donald Trump a, très justement, dénoncé une "attaque chimique atroce". Et précisé que celle-ci avait tué, parmi quelque 87 personnes "même de beaux petits bébés".

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Le lendemain, à la tribune du Conseil de sécurité, la représentante des États-Unis aux Nations unies, Mme Nikki Haley, brandissait elle aussi des photos d’enfants syriens victimes de l’attaque pour annoncer que son pays était prêt à «faire plus». Le jour suivant, des navires américains mouillant en Méditerranée tiraient - sans en avoir avisé les Nations-Unies - 59 missiles Tomahawk (à 780.000 euros la pièce) contre la base aérienne syrienne d’Al-Shayrat d'où aurait été lancée l'attaque contre Khan Sheikhoun, tuant 6 soldats syriens et détruisant une vingtaine d’avions, mais laissant apparemment la piste intacte. La majorité des chancelleries et des médias occidentaux ont approuvé.

Il ne s’agit pas de se prononcer sur la réalité de l’émotion ressentie par D. Trump au vu des images des petites victimes syriennes. Il ne semble d’ailleurs pas, comme son prédécesseur en avait le secret, s’être à l’occasion furtivement écrasé une larme au coin de l’œil. Les discours incendiaires et martiaux du candidat, puis du président Trump pourraient par ailleurs nous faire douter de cette sincérité.

Mais la question n’est pas là.

Le problème, me semble-t-il, se trouve tout d’abord dans le chef de médias qui rapportent, sans prise de distance aucune, de tels «moments d’émotion» comme une information à part entière. Il est vrai que «l’émotion» est depuis quelques temps au cœur de nos JT qui, de plus en plus, tendent à se confondre avec une émission de divertissement.

Le problème se trouve toutefois bien davantage chez nos hommes - et femmes politiques qui, désormais, s’appliquent à jouer jusqu’à l’écœurement des émotions de leur public[1]. Les «beaux petits bébés» de D. Trump me font en effet penser à l’affaire des couveuses koweitiennes vidées, avait-on dit à l’époque de l’invasion de l’émirat (1990), de leurs nourrissons abandonnés sur le carrelage, et emportées en Irak par les soudards de Saddam Hussein. Un «scandale» qui avait comme il se doit suscité un tollé aux États-Unis. Et permis à George Bush père d’emporter l’aval du Congrès pour son intervention en Irak : au moins 500.000 morts. Et combien de «beaux petits bébés» ? Scandale monté de toutes pièces, apprendrait-on par la suite, par la firme Hill & Knowlton, et par le gouvernement américain, avec l’aide de l’ambassadeur du Koweït, dont la fille avait été présentée au dit Congrès comme une infirmière en larmes ayant été témoin de la scène… Depuis, George Bush junior a permis de nous faire voir en son daddy un homme honorable.

Khan Sheikhoun et ses suites suscitent d’ailleurs aussi des questions sur le système «démocratique» étasunien lui-même. Système qui, outre le fait qu’il ne permet qu’à des millionnaires d’accéder au pouvoir, nous a récemment montré – avec Bush junior et Donald Trump – que ces millionnaires pouvaient aussi être tout à fait incompétents. Car ce que les changements de cap incessants de D.Trump et ses propos après l’attaque au sarin donnent à voir une fois de plus, c’est bien un président qui, obsédé par son égo et son ressentiment contre Barack Obama, ne connaît pas ses dossiers. Le 12 avril, c’est le président lui-même qui a confié au Wall Street Journal que, six jours plus tôt, Xi Jinping lui avait «beaucoup appris» sur la situation coréenne lors de leur rencontre: le leader chinois lui aurait «expliqué l’histoire de la Chine et de la péninsule coréenne […]: on parle de milliers d’années […] J’ai réalisé que non, ce n’est pas facile»[2]. No  comment.

Ce qui n’a pas empêché M. Trump d’avoir des propos très définitifs – et dangereux - sur la question. Ni de renvoyer un porte-avion au large des côte coréennes deux jours plus tard…

Le président des Etats-Unis est aussi revenu plusieurs fois sur l’émotion qu’il aurait ressentie au vu des images de Khan Sheikhoun, confiant à la presse que leur vue avait «changé son regard» sur Bachar Al-Assad. Cela après six ans de conflit et plus de 310.000 morts… Mais, même si Trump dit vrai, n’y a-t-il pas quelque chose d’effrayant dans le fait d’entendre le leader - et le chef des armées - de la première puissance mondiale «avouer» avoir modifié du tout au tout son opinion sur base d’une simple «émotion» ?

Tout récemment, l'UNICEF estimait que la violence contre les enfants en Syrie a connu son "pire niveau" en 2016 avec au moins 652 enfants tués (+ 20% par rapport à 2015) dont plus du tiers à proximité d'écoles. Par ailleurs, 2,3 millions d’enfants syriens seraient privés d’enseignement dans le monde, dont 1,7 en Syrie et un tiers d’entre eux n’ont connu autre chose que la guerre. Il y a 280.854 enfants dans des zones assiégées par les différents protagonistes et plus de 6 millions nécessitent de l’aide humanitaire.

Ce ne sont certes pas les Syriens qui croiront à l’émotion sincère de M. Trump. Eux qui, depuis 6 ans, voient leurs enfants se faire tuer ou rester estropiés à vie.

En vérité, des «beaux petits bébés» syriens, tant Donald Trump que Vladimir Poutine, tant Bachar Al-Assad que nombre de chefs rebelles, tant Recep Tayyip Erdogan que les pétro-monarques - et bien d’autres «grands» de ce monde, s’en tapent.

Paul DELMOTTE

Professeur de politique internationale retraité de l’IHECS

18 avril 2017


[1] Il sera très utile à ce sujet de (re)lire l’article de Anne-Cécile Robert, dans le Monde diplomatique de février 2016 : https://www.monde-diplomatique.fr/2016/02/ROBERT/54709

[2]Le Monde, 16-17.4.17

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