Ce loisir, ayant son lot d’opposants depuis déjà longtemps, est particulièrement attaqué ces dernières décennies, tant sur le plan scientifique que sur le plan éthique. Pour redorer son image, la fédération nationale mise largement sur des campagnes de communication mettant les chasseurs au centre des acteurs écologiques, ou abuse de l’image du petit paysan partant chasser à la billebaude avec son chien pour le déjeuner du dimanche. Mais qu'en est-il?
Lorsqu’on parle de chasse avec des personnes peu ou mal informées, l’idée que certaines chasses sont trop cruelles, commerciales, mais que la chasse “banale” et la régulation de certaines espèces est acceptable ou nécessaire reste ancrée. Il n’y a plus grand monde pour défendre la chasse en enclos, la petite ou grande Vénerie, les tableaux de chasse imposants, etc. Mais une partie de la population considère que chasser “raisonnablement” pour manger ou chasser pour réguler n’est pas un problème et que sans régulation par les chasseurs, les cultures seraient trop grandement impactées, voire que les animaux nous envahiraient.
Les concernés
La petite chasse paysanne, c’est l’image de la France rurale, la tradition, les valeurs anciennes, l’authentique. Le président des chasseurs français Willy Schraen l’a bien compris et insiste régulièrement sur cette opposition entre chasseurs représentants de la ruralité et les urbains ne connaissant rien à la campagne et n’ayant pas la légitimité à s’exprimer sur le sujet.
Nous pouvons déjà répondre, par exemple, qu’il n’y a pas besoin de travailler dans un refuge pour dire que l’abandon d’animaux domestiques est un problème éthique.
Mais écouter les concerné-es, c’est la base, et on ne va pas contredire son importance tant nous luttons pour le faire entendre dans les luttes antisexistes, antiracistes, etc.
Lorsque l’on donne la parole aux ruraux, on voit bien que la chasse est loin de faire l’unanimité. Les personnes vivant en zones rurales étant les premières impactées par les parties de chasse les empêchant de se promener en sécurité comme l’a démontré entre autres le collectif Un jour un chasseur via ses nombreux témoignages de victimes d’abus et “d’accidents”.
Premières impactées? Et bien non, corrigeons-nous, car bien que les humains subissent pour beaucoup la minorité de chasseurs en campagne, les premières victimes et donc les premiers individus concernés sont bien entendu les animaux sauvages, directement visés par les tirs. Oui, si les représentants de la chasse veulent parler des premiers concernés, il faudrait prendre en compte les animaux, car il est démontré qu’ils ont, comme nous, un intérêt à vivre.
Ensuite, nous pouvons citer Thierry Coste, lobbyiste de la FNC (Fédération nationale des chasseurs): “ L'idée que défendre la chasse revient à défendre la ruralité dans son ensemble est une assimilation fallacieuse mais que nous avons réussi à installer”.
Un droit du peuple
Qui n’a jamais entendu que le droit de chasse était un acquis de la Révolution et par conséquent (autre assimilation fallacieuse) que s’y opposer était antidémocratique?
Or, la Révolution de 1789 à uniquement étendu le droit de chasse, alors réservé aux seigneurs, aux propriétaires sur leurs terres, donc principalement aux bourgeois et aristocrates.
La chasse populaire était alors majoritairement du braconnage, sévèrement punie.
En liant d’autant plus la chasse et la propriété, la révolution démarre la chasse commerciale, les propriétaires non chasseurs louant leur droit de chasse. A partir de 1804, les communes louent leurs terres aux chasseurs, en 1833, l’État loue les forêts domaniales.
Vers 1815 avec le retour de la monarchie, les forêts sont revendues pour renflouer les caisses de l'État, commence alors la privatisation des terres par les plus riches.
Aujourd’hui, le droit de chasse dans les forêts domaniales rapporte encore un paquet d’argent à l’OFB, et les grands domaines privés appartiennent toujours à quelques privilégiés, principalement des citadins qui viennent se divertir sur leur temps libre.
Oui, des citadins, car près de la moitié des détenteurs du permis de chasse vivent dans une ville de plus de 20.000 habitants: 13% dans des villes de 20.000 à 99.000 habitants et 22,5% de 100.000 à 1.999.999 habitants.
Quant à la popularité, 36.3% sont des cadres ou pratiquent une profession libérale, 23.4% sont employés, 15.1% sont ouvriers, 9.4% sont artisans ou commerçants, seulement 8.5% sont agriculteurs (6.8% profession intermédiaire ou assimilée et 0.5% étudiants).
On est bien loin du discours de Willy Schraen se déclarant, lui et le reste des chasseurs, comme des “ploucs” des campagnes aux yeux des citadins hors sol.
Les petites mains de la régulation
Envers et contre le nombre de paradoxes qu’implique l’argument de la régulation, des questions persistent et les chasseurs bénéficient encore de cette idée de mission d’intérêt général contre les dégâts de culture et la prolifération des animaux.
Or, la France est la seule à atteindre en Europe un nombre d’espèces chassables aussi grand, 91 à ce jour, dont une majorité d’oiseaux. Les espèces d’oiseaux causant des dégâts sur les cultures pouvant se compter sur les doigts d’une main, et leur impact économique étant minime comparé à celui des ongulés, rien ne justifie un tel massacre au nom de la régulation.
Si la régulation justifiait la chasse, les chasseurs français n'auraient pas le droit de tuer des espèces en déclin comme le grand tétras, le lagopède, la marmotte, le lapin de garenne…
Il n’existerait pas d’élevage de gibier, vendu à de grands propriétaires pour relâcher les animaux en parc clos et des gens qui payent pour venir les tuer.
Il n’y aurait plus de chasse à courre ou de vénerie sous terre, les techniques les plus efficaces et causant le moins de souffrance seraient naturellement privilégiées.
S’il n’y avait que la régulation, elle serait effectuée par des professionnels ayant reçu une formation réelle à la faune sauvage, à sa gestion et au tir.
Alors beaucoup répondront que tous les chasseurs ne sont pas les mêmes, qu’il y a chasse raisonnée et “viandards”. Pourtant, les chasseurs font toujours front commun, d’une part parce qu’ils ont obligation de cotiser et que la fédération nationale centralise tout, d’une autre part car cette même fédération paie un lobbyiste très efficace pour influencer les pouvoirs publics. De là vient leur force politique, et s’y opposer au nom d’une chasse raisonnable ou du respect de la convention de Berne n’arrange aucun d’entre eux. La moindre tentative d’atteinte à leurs privilèges soulèvent un vent de colère, comme si toucher à une infime partie de leur pratique était une insulte à la chasse entièrement. C'est pourquoi la France se retrouve à prendre des décisions à l’encontre des directives européennes en faveur de la biodiversité.
La chasse est pratiquée pour le plaisir, comme l’a si bien rappelé Willy Schraen sur RMC le 9 novembre 2021 en s’exclamant “ Tu n’as pas compris qu'on prend du plaisir dans l'acte de chasse [...] Tu crois qu'on va devenir les petites mains de la régulation? [...] J’en ai rien à foutre de réguler”.
Pourtant, on leur fait confiance pour gérer la faune sauvage, comme s’il n’y avait pas de conflit d’intérêt.
En 1968, les agriculteurs perdent leur droit d'affût qui permettait de tirer eux-mêmes sur les bêtes fauves (sangliers, chevreuils, cerfs) causant des dégâts sur leurs cultures, au grand plaisir des chasseurs obtenant ainsi le monopole de la gestion de ces animaux, en échange de rembourser les dégâts subis. C’est ainsi qu’ils vont faire en sorte, via les plans de chasse, d’avoir toujours assez d’animaux à tirer.
La suite on la connaît, les sangliers prolifèrent au-delà de leurs espérances, les dégâts coûtent de plus en plus cher, les chasseurs demandent depuis quelques années à ce que l’état, donc le contribuable, participe aux remboursements, car cet arrangement ne va plus parfaitement en leur faveur.
Parmi les raisons de la prolifération de sus scrofa, une majorité vient de la gestion des chasseurs: ne pas tirer les laies meneuses, l’agrainage, l’élevage et l'échapper ou le relâcher,etc. Mais d'autres causes aussi comme le réchauffement climatique, l’évolution des pratiques agricoles avec les grandes cultures de maïs, l’hybridation avec les cochons domestiques, le manque d’espaces forestiers les amenant aussi à se rapprocher des cultures et zones péri-urbaines pour un accès facile à la nourriture.
Des solutions alternatives
La protection des cultures est un enjeu central désormais, mais les chasseurs participant à la pose de clôtures ou autre effarouchement sont peu nombreux. Or protection n’est pas forcément tir de régulation, on voit d’ailleurs très bien avec l’exemple du sanglier que les tuer est inefficace face à la croissance de leurs populations et à l’adaptation de leurs comportements. L’intérêt général gagnerait beaucoup à investir dans des répulsifs, dans la pose de clôtures adaptées, voire la surveillance des cultures.
La science a un grand rôle à jouer ici. Des études sont menées pour agir sur la fertilité plutôt que sur la mortalité, avec des résultats prometteurs impliquant une gestion bien plus éthique.
Cela demande des bras, des connaissances et des financements, mais les battues et remboursements aussi, et la situation empire toujours.
“Ce n’est pas naturel”, “Laissez les animaux tranquille" et autre réflexion anti-interventionnisme résonne à la moindre évocation de la contraception. Pourtant, si des groupes d’écologues, biologistes et autres scientifiques travaillent sur le sujet depuis des années, c’est bien qu’il y a une demande de la société de contrôler, souvent pour rattraper des interventions humaines antérieures, certaines populations entrant en conflit avec les activités humaines. La chasse est une intervention et les armes ne sont pas particulièrement naturelles, si encore on peut se mettre d’accord sur la définition du mot qui varie selon les gens et les contextes.
S’il est possible de régler ces conflits, autant que possible par la prévention en amont mais aussi par des méthodes durables et éthiques, n’est-ce pas une intervention plus souhaitable que la mise à mort automatique?
Le treizième congrès international sur le sanglier, tenu cette année à Barcelone, indique que l’espèce se propage partout et dans divers types de milieux, qu’elle a des impacts positifs comme négatifs et que le challenge actuel est de gérer sa croissance et ses impacts via des méthodes durables, efficaces et approuvées par les citoyens. Pour cela, le comité scientifique appelle les gouvernements à développer des méthodes basées sur des connaissances scientifiques et à en évaluer les résultats, à évaluer aussi l’efficacité des tirs de régulation ou de la chasse de loisir, à investir dans des méthodes alternatives de contrôle des populations, à bannir le nourrissage en dehors de cadres stricts et justifiables scientifiquement, à réduire l’accessibilité aux déchets humains ou à la nourriture des animaux domestiques, à investir dans la protection des cultures ainsi que dans la réduction des risques de collision routière, à prévenir les risques d’hybridation avec des cochons domestiques, à étudier les populations de cochons africaines résistantes à la peste porcine africaine et à informer le public sur l’espèce. En résumé, les spécialistes demandent un investissement réel permettant d’étudier différentes approches et d’évaluer leurs résultats.
Pour en apprendre plus sur la contraception comme méthode de régulation, on peut lire les travaux sur l’immuno-contraception. Le Gonacon, déjà utilisé entre autres sur des populations d’hippopotames en Colombie, de sangliers à Hong Kong et Barcelone, de cerfs de Virginie aux Etats-Unis… ou avec le PZP (porcine zona pellucida ), utilisé sur des équidés sauvages, des wapiti et éléphants aux Etats-Unis. Ces produits sont injectables, des travaux sur l’utilisation d'appâts avancent pour le Gonacon. On pourrait aussi citer un anti-coccidien utilisé pour réduire la fertilité des pigeons dans certaines villes, beaucoup de recherches mériteraient d’être encouragées dans le domaine.
La cohabitation avec les autres espèces est un élément clé de notre évolution, nous ne pouvons plus faire comme si les animaux n’avaient pas de conscience et n’étaient pas sensibles. Des alternatives à la mise à mort existent et l’opinion publique est demandeuse de solutions éthiques.
Si l’on veut vraiment écouter le peuple, citadins comme ruraux, tournons-nous vers les sondages. En 2021, l’Ifop révélait que plus d’un français sur deux était opposé à la chasse dont 47% de ruraux et 52% de citadins. 83% pensent que cette pratique est une source d’insécurité et 65% qu’elle est cruelle. La majeure partie du pays est favorable à une réforme en profondeur. L’enquête ajoute que les citoyens sont plus favorables lorsqu’ils sont bien informés sur la chasse… mais informés par des chasseurs. Or on constate assez facilement que les chasseurs ne donnent pas toutes les informations pour que leur pratique soit acceptée plus facilement. Ils misent principalement sur l’image du chasseur paysan, qui n’a pourtant jamais représenté plus qu’une infime partie des pratiquants, ou de la gestion nécessaire qui, on l’a vu aussi, est inefficace et ne représente que quelques espèces sur les 91 chassées. On pourrait ajouter les actions en faveur de la biodiversité mais celles-ci pourraient être faites par des associations de protection de la nature si elles touchaient les mêmes subventions et bénéficiaient de la même proximité avec les pouvoirs publics locaux. Les traditions tant mises en avant n’existent pas depuis si longtemps et ont connu beaucoup de changements, des changements qui ne sont les bienvenus que lorsqu’ils sont à l'avantage des chasseurs: outils technologiques comme les talkies, les 4x4, les gps, etc.
Étrangement, la nouvelle technologie, mais surtout les scènes de mise à mort, le sang, les cadavres, les blessures des chiens, éléments quotidiens de ce loisir, ne sont pas montrés dans leur communication.
Ni l’opinion publique ni les résultats scientifiques, ni le président de la FNC ne défendent la pratique de la chasse dans le cadre d’une nécessaire régulation, et l’image de la chasse paysanne n’est qu’un fantasme entretenu certes, mais ternissant.
Sources:
"Les chasseurs ont-ils tué la chasse?" Michel Gauthier-Clerc, 2022, éditions Delachaux & Niestlé
Sondage IFOP: https://www.ipsos.com/fr-fr/seul-1-francais-sur-5-est-favorable-la-chasse
Wild boar symposium: https://wildboarsymposium.com/final_declaration/
Sur la contraception faune sauvage: https://wildlifefertilitycontrol.org/