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Billet de blog 15 décembre 2023

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Je me barre élever des chèvres

Quel·le citadin·e ne s’est jamais entendu·e dire « J’en ai marre de cette vie je vais partir élever des chèvres dans le Larzac » ? Qui ne regarde pas avec tendresse les vaches dans les prés depuis la fenêtre du train ? Rêver d’une vie calme et bucolique lorsqu’on est pris dans un quotidien gris et bruyant, romantiser la campagne, c’est banal à souhait.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Lorsqu’en plus on apprécie particulièrement la compagnie des animaux et que l’on se projette dans une activité à leur côté, on pense forcément à l’élevage.

Que je les comprends, les personnes se lançant dans ce projet. 

« Tu vas passer tes journées à t’occuper des animaux dans un cadre verdoyant, tu assisteras des mises bas, prendras soin des bébés, et tu seras payée pour ça. Certes tu auras beaucoup de travail et peu de revenus, mais les citoyen »nes seront très reconnaissant·es de ton travail, on dira de toi que tu nourris le pays, que ton métier doit être protégé coûte que coûte.’

Donc admettons, tu as un petit élevage de chèvres. Tu n’es pas dans l’intensif, l’industriel, le vilain polluant, non, toi tu as un petit cheptel, à “taille humaine”. Prenons vraiment le meilleur des cas. Tu soigne bien tes animaux, leur donne des petits noms, ils mangent bio, passe le plus gros de leur temps en plein air, soit.

Tu trais tes laitières, tu vends ton fromage, on peut déjà se poser ici la question de l’exploitation et du consentement, mais passons.

Qu’est-ce que tu fais des chevreaux dont la naissance est nécessaire pour avoir du lait ?

La plupart les vendent pour la viande, environ 10€ le kilo. D’autres les vendent pour compagnie, ça les embêtent de les tuer mais s’ils peuvent en retirer un peu d’argent c’est mieux quand même. Certains diront même que la somme versée sert à savoir que les adoptant·es s’engagent à pourvoir aux besoins des animaux. Osé. D’autres finalement acceptent que des associations de protection animale les récupèrent et les fassent adopter ou les donnent directement via petites annonces, le bon coin, etc.

Ce dernier cas sera certainement le tiens si tu as une sensibilité au sort de ces bébés, tu envisageras aussi de faire de même pour tes chèvres de réforme, si tu ne les garde pas jusqu’à leur mort “naturelle”*.  

Le beurre, l’argent du beurre, le bébé de la laitière

Et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes: tu as le fromage, l’argent du fromage et la conscience tranquille.

Malheureusement, c’est à ce moment là qu’une rabat-joie vient commenter sous ton post facebook: « C’est bien de ne pas envoyer les chevreaux à l’abattoir mais ce faisant vous vous déresponsabiliser de leur vie en vous déchargeant chaque année sur les associations et les particuliers qui se retrouvent avec toujours plus d’animaux et toujours moins de place, de temps, d'énergie, d’argent. »

Sorti du cadre de l’élevage idéal ou personne ne meurt, vous n’avez pas pensé, ou pas souhaité réfléchir à l’impact que la paix que vous vous offrez aurait sur les autres. Car oui, lorsqu’on voit des chevreaux, on ne peut se résoudre à les laisser partir en boucherie. Donc les assos mobilisent temps, bénévoles et argent pour organiser des trajets, des adoptions. Les particuliers et sanctuaires se disent « j’ai un peu de terrain je vais les accueillir », puis « j’ai encore un peu de place je peux refaire des clôtures », et il est de plus en plus compliqué de trouver des places, certain·es ayant voulu bien faire se laissent dépasser, il faut trouver de nouveaux accueils, tout le temps, et ce travail continue d’être effectué par des bénévoles qui gèrent toute l’année des placements d’animaux permettant aux éleveur·ses d’être plus tranquilles. Cette chaîne de solidarité, aussi vertueuse soit-elle, permet à l’élevage de continuer sans se remettre en question. Des personnes douée d’empathie et hésitant à se lancer seront plus à même de le faire si cette solution leur est proposée.

L’idée n’est pas de dire « arrêtez de sauver des animaux d’élevage », évidemment non, chaque vie compte, mais il me semble qu’il est important de ne pas déresponsabiliser les personnes faisant naître des animaux dont elles se débarrassent ensuite.

On est tous·tes très touché·es par les campagnes contre l’abandon des chiens de 30 millions d’amis ou de la SPA, bien que le taux d’abandon augmente encore.

Pourtant, grâce au spécisme, les éleveur·ses peuvent envoyer à la mort, vendre ou donner un nombre incalculable d’animaux sans faire sourciller.

Normaliser le don des bébés, « déchets » de l’industrie laitière, c’est refuser de se questionner sur le fond des choses: le principe même de faire naître pour utiliser et tuer.

C’est aussi surcharger de travail des personnes qui en ont déjà trop, qui ne reçoivent pas d’aides (ou rarement) de l’état, qui ne bénéficient même pas de l’image bucolique des élevages supposément éthiques qui ne tuent pas les chevreaux, puisque l’on considère que les assos, c’est leur boulot. 

Les éleveur·ses faisant preuve d’empathie sont admiré·es, les bénévoles, les sanctuaires, sont marginalisés.

Du lait sans bébé ?

Une autre pratique commence à prendre place en France dans certains élevages, entre autres pour ces raisons: la lactation continue ou lactation longue. Ne faire faire qu'une portée ou moins par an, garder ou vendre à un autre élevage le chevreau/ la chevrette et continuer de traire pour garder la chèvre en lactation. Cette méthode peut permettre d'avoir un cheptel en meilleure santé et de le garder plus longtemps. Cependant, elle n’est pas applicable à tous les élevages, tous les animaux, dans toutes les régions, etc. Ensuite, rares sont les éleveur·euses à garder ou vendre tous les bébés et toutes les laitières ne produisant plus suffisamment. Il faut être attentif à ne pas omettre que l’élevage est une activité économique, que les animaux sont ici des produits, et que même en faisant notre possible pour le rendre “humain”, il restera conditionné à sa rentabilité. Donc rares sont les chèvres d’élevage à finir leur jours paisiblement sur le lieu d’exploitation. Chaque individu a un coût d’entretien et s’il ne ramène pas d’argent, il ne restera pas. Ainsi, la lactation continue ne sert pas seulement à éviter l’abattage des petits, mais surtout à éviter l’impact économique de la période de mise bas: soins, décès, équarrissage…

Pour quelle utilité ?

« Tu as des chèvres? Tu fais du fromage alors? »

Cette phrase, celles et ceux vivant avec ces animaux on pu l’entendre un paquet de fois. C’est normal, peu de gens ont des caprins dans le jardin si ce n’est pour l’élevage. 

« Non se sont des boucs castrés, le fromage serait bizarre »

La vision que nous avons des animaux en fonction de ce qu’ils peuvent nous apporter est construite par notre éducation, notre culture de société. 

« Tu es plus tranquille avec ton chien pour te protéger »

Même les animaux de compagnie y ont le droit.

« Si je me fais agresser je préférerais que ma chienne aille se mettre en sécurité »

Cela fait partie intégrante du spécisme. Un chien de garde ici sera un animal cuit et mangé ailleurs. 

Nous mangeons des cochons qui ont des capacités cognitives logiques et émotionnelles très proches de celles des chiens. Tout cela est uniquement culturel, on pourrait donc parfaitement changer, considérer que tout être sentient mérite de voir ses intérêts défendus au même titre que les nôtres. Mais cela voudrait dire faire passer le droit de vie des autres avant notre intérêt économique et notre plaisir (gustatif, divertissement, etc.). Cela serait logique et pourtant nous résistons à ce changement. 

Contrairement à ce que certains aiment s’imaginer, les animaux d’élevage ne sont pas des travailleurs qui nous “offrent” leur lait, leur chair, en retour de soins et nourriture. Certains par le conditionnement ont un comportement résigné, certains tentent de résister, aucun n’est prouvé consentant.

Ils n’ont pas donné leur accord pour être inséminés, exploités, séparés, vendus, tués, découpés… et quel employé accepterait cela? 

Les caprins, comme tous les animaux, méritent d’avoir un abri, des soins et de la nourriture sans contrepartie. 

Donc les boucs adoptés n’ont aucune autre utilité que celle d’apporter de la joie en les voyant vivre paisiblement, avec pour seules contraintes celles des soins et clôtures nécessaires à leur sécurité. 

Pour résumer, bien que l’adoption soit un acte nécessaire pour sauver des vies, on ne pourra pas adopter tous les animaux dont les exploitants souhaitent se débarrasser. Cette solution n’est pas viable et déplace injustement la responsabilité sur des personnes n’en tirant pas d’argent, bien au contraire.

* Cette mort “naturelle” est tout de même façonnée par une vie dont tous les aspects sont contrôlés par l’humain. On peut considérer que l’animal vit mieux grâce aux soins ou moins bien à cause des multiples naissances et traites. Mais les animaux d'élevage vivent environ un tiers de leur longévité sans exploitation. La grande majorité des animaux d’élevages sont abattus, qu’ils aient 8 semaines, six mois ou cinq ans. 

Sources:

http://www.fnec.fr/IMG/pdf/Collection_Fiche_technique_lactations_longues.pdf

https://www.l214.com/animaux/chiffres-cles/esperance-vie-animaux-viande-lait-oeufs/

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