5 novembre 2017. Les préparations du voyage. Je ne m'en vais pas de gaieté de cœur, je me suis habitué à Puerto Ayacucho, aux nuits passées à scruter l'obscurité aussi. Aujourd'hui alors que je fais un tour dans le marché, quasiment désert le dimanche, ce type [Par la faute de qui Búho croupit au cachot] m’arrête… : « Oe Búho est tombé alors ? » - « Ouais connard et t'as les couilles de me sourire au nez ? » - « Pourquoi tu vas me dénoncer aux flics ? » - « Non je travaille pas avec ces raclures...Fais attention à toi c'est tout. » - « Tu vas me lâcher les chiens alors ? » Si ce n'était que des chiens...
Je retrouve Ricardo, un peu désorienté, comme d’habitude. Le vieil homme fut de toutes les luttes dans la région d’Amazonas. Il me reconnaît cette fois. Cet homme a des talents de cartographe qui ne s’en allèrent pas, c'est indéniable, plusieurs fois déjà il m'aura dessiné des cartes pour m'expliquer ses voyages avec précision. Aujourd'hui je lui fais part de mon intention d'aller à Santa Elena de Uairén, à la frontière brésilienne. « Alors tu vas voir le Río Negro, les trois frontières, la pierre de Cuculi ? » Il n'a capté que la fin de ma phrase : « Nan je vais à Santa Elena, du côté de l'état Bolívar... » - « Ahh d'accord, mais tu voulais descendre au sud n'est-ce pas ? » - « Ouais mais tu sais comment c'est aujourd'hui au sud, tout le monde cherche de l'or plus bas et les FANB [Fuerzas Armadas Nacionales Bolivariana]… » - « Mais tu peux étudier ce qu'il se passe ? Non ? Tu veux pas ? » - « Je passe mon tour, je vais vers d'autres régions minières, plus faciles d'accès... » - « Trop dangereux ? » - « Ouais encore que le danger et la peur... mon problème c'est la tristesse, ceux qui descendent au sud le font avec la soif de l'or... » - « Tu devrais aller voir du coup non ?» - « Je passe mon tour... J'irai voir une frontière plus fréquentée, j'ai toujours dans l'idée d'aller vers l'Alto Orinoco mais aujourd'hui bien plus vers la sierra Parima, tu connais mon pote Marvin non ? Je voudrais aller chez lui, quand lui pourra y aller aussi... » - « Ah je comprends... C'était pas la même époque quand j'ai fait ce voyage, les camarades m'aidaient, les pêcheurs, les indiens aussi… » - « Aujourd'hui le pêcheur si tu démontes le moteur de sa pirogue, tu vas comprendre pourquoi il pêche… le poisson du soir peut-être, mais surtout le transport de l'or de contrebande... » - « Bah mais l'or nous a permis de nous financer du temps de la guérilla tu sais ? » - « Je sais, c'est peut-être pas vos pages les plus glorieuses au passage... » - « Et c'est un communiste colombien qui me dit ça ? » - « Je suis né en France ! Et j’ai rien d’un rouge ou si? » - « Ay mais tu ressembles pas à un français ! Mais c'est vrai, tu me l'avais déjà dit... » Dix fois, vingt fois peut-être ! Ricardo souffre d’Alzheimer….
6 novembre. Arrivé devant la Casa Amarillo, je rencontre Pedro. Nous discutons de choses et d'autres puis filons vers la Casa Azul voir une exposition de peinture de la région. J'essaierai de parler pour l’ensemble, bien que les noms de Saldeño et de Pamanare ont demeuré dans ma mémoire, leurs tableaux m'ont captivé. En soi je ne dis rien de la qualité esthétique de toutes ces œuvres, elles m'ont toutes transmis quelque chose d'impalpable, d'indicible, quelque chose de beau immédiatement et rétrospectivement. En plus de la joie de les contempler, pour l'essentiel, un plaidoyer pour l'imagination ou la nature. Des paysages de rapides, de raudales où figurent des pirogues au crépuscule, des pétroglyphes, des rives ou des orages empreints de mystère, une nature souvent humanisée ou une humanité se fondant parfois à nouveau avec la nature, depuis d'étranges perspectives contradictoires, imbriquées, instables, épiques. Plusieurs mythologies interagissent, s'entrechoquent, s'éloignent, se livrent un combat, ou se rapprochent en d’invraisemblables syncrétismes. Le christ, cadavérique ou indien. La vierge tantôt dans le fleuve tantôt dans le ciel, tantôt dans la montagne. Le visage de la femme yanomami, récurrent. Les animaux de cette jungle, certaines de ses plantes, de ses fleurs... Une harmonie crépusculaire et nostalgique émane de la plupart de ces œuvres.
Pas encore parti. Je réfléchis et je patiente. Le mercredi il y a un récital de poésie et des exposés à l'occasion de la commémoration de « la révolution russe » - que parfois on dénomme directement et sans vergogne « révolution bolchevique », ce qui est encore pire… Ils étaient où les gardes rouges en décembre quand l'Ukraine était envahie, la révolution réprimée, les communes et leurs paysans révoltés écrasées ? Je vous donne la réponse pour cette fois : ils étaient dans leurs trains blindés en fuite, direction Moscou... Une zone tampon vous connaissez ? L’Histoire s’est toujours essuyée les pieds sur l’Ukraine - comme sur ma région natale par ailleurs… Je suis quand même curieux de voir ce qu'il se dira sous une forme ou une autre durant cette « commémoration » à la con. Que faire d’autre sinon?
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Akuhena Yavari rinde homenaje a los guerreros Yanomamis (Shamatari) luego de los hechos ocurridos en Parima B en el Alto Orinoco, donde 4 yanomamis fueron asesinados en un enfrentamiento con efectivos de la FANB.
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Akuhena Yavari rend hommage aux guerriers Yanonamis (Shamatari) suite aux événements passés à Parima B sur le Haut Orénoque, durant lesquels 4 yanomamis ont été assassinés lors d'un affrontement avec des troupes des FANB [Forces Armées Nationales Bolivariennes].