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Billet de blog 6 octobre 2025

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Un chien a-t-il la même nature que Bouddha? (Réception d'un essai de VII)

« Nous vivons en fait dans une réalité programmée par ordinateur et le seul indice que nous ayons pour nous en rendre compte se trouve dans le fait qu’une variable aie été changée et qu’une certaine altération de notre réalité devienne perceptible. »

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Un chien a-t-il la même nature que Bouddha?

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« Nous vivons en fait dans une réalité programmée par ordinateur et le seul indice que nous ayons pour nous en rendre compte se trouve dans le fait qu’une variable aie été changée et qu’une certaine altération de notre réalité devienne perceptible. »

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Ces mots ont peut-être fait sourire son auditoire lors de sa conférence de Metz, ou même rire, et à raison tant ils paraissent absurdes et délirants pour l’homme ordinaire habitué à considérer qu’il y a une équivalence entre « sa réalité » et le Réel. À l’ère numérique, son mythe informatique. La réactualisation - l’appropriation, l’individuation, le détournement aussi - d’un mythe plus ancien par Dick n’a rien d’exceptionnel en soi. Mais pour une génération qui a vu Matrix, et avant l’oeuvre des Wachowski comme après, quantité d’allégories de ce type, la soupe paraît presque froide et - comme Dick pour Star Wars - nous pourrions des dizaines de fois à l’année nous exclamer : Déjà vu!

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Qu’on nous permette quelques précisions puisque nous sortons de ce champ de production qui est le notre (la poésie et la traduction) pour écrire pour un domaine tout à fait différent - mais dont la visée politique, critique et poétique ne nous est pas étrangère. Nous ne ferons ni une critique, ni un commentaire, ni une analyse de l’oeuvre de VII à proprement parler. Des éléments hérités de cela que nous nommons critique, commentaire, analyse seront certes empruntés, mais nous nous garderons des jugements normalement émis par ces instances. Le rythme et le style n’est pas à portée de notre jugement, dans la perspective actuelle qui est la notre. Il s’agira plutôt de notre itinéraire physique, mental et intellectuel. Une réception, peut-être teintée d’un regard confessionnal. Mais une réception d’abord.

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Qu’on nous permette de longues citations. Si nous ne portons aucun jugement sur le rythme et le style, nous l’apprécions à titre personnel, tant chez VII que chez Philip K. Dick - ainsi que chez les quelques autres dont nous réceptionnerons la parole en la laissant courir et couler, tant que faire se peut. Respirer une pensée prend du temps.

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Aux mots d’une chanson de VII nous ouvrions ce livre d’Ossip Mandelstam - il faut parfois ouvrir et lire un livre en s’en remettant au hasard (ou comme dirait Médine laisser la playlist sur aléatoire) - et c’est peut-être une tendresse comparable à ce poète qui anime le rappeur, dans l’ensemble de son oeuvre:

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« La nouvelle société repose sur la solidarité et le rythme. La solidarité, c’est l’acquiescement aux projets. Il est indispensable aussi d’acquiescer aux actes, ce qui en soi est déjà rythme. Par lui, la révolution a triomphé. Il est descendu, langue de feu, sur sa tête. Il importe de le renforcer pour toujours. Solidarité et rythme sont le nombre et la qualité de l’énergie sociale. Une masse solidaire. Seule est rythmée la collectivité. Et n’est-elle pas désuète, cette notion de masse, cette dimension purement collective de l’énergie sociale, ne sort-elle pas du paradis perdu des collecteurs de voix?

L’histoire connaît deux renaissances : la première au nom de l’individu, la seconde au nom de la collectivité. »

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Ossip Mandelstam (trad. Jean-Claude Schneider), l’État et le rythme, Oeuvres complètes II, p 236, ed. La Dogana

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Aussi, laissons un instant la réception pour la mémoire et l’anecdote. Si comme un chacun qui s’intéresse à la SF nous connaissions Philip K. Dick, ç’a été tardivement que nous l’avons rencontré vraiment, dans son texte. À environ 25 ans, à Tarragone, dans la banlieue populaire, ouvrière et polyculturelle de Camp Clar, où nous habitions tant bien que mal, entre deux escales au Pérou, au Venezuela ou en Colombie. Nous avions environ trois mois à tirer et nous décidions d’en profiter pour les consacrer à l’étude. Ce qui arriva avant K. Dick, et comme une préparation pour appréhender son Exégèse ce fut les oeuvres de Mircea Eliade et de Carl Gustav Jung. Nous lisions boulimiquement ces deux auteurs. De Jung : Psychologie et Alchimie, Ma vie, souvenirs, rêves et pensées, Mysterium conjunctionnis, tome I et II, Réponse à Job, des oeuvres de Marie-Louise von Franz aussi, mais surtout Le Livre Rouge. De Mircea Eliade : Histoire des croyances et des idées religieuses tome I, II et III, Occultisme, sorcellerie et modes culturelles, son Traité d’histoire des religions, Forgerons et Alchimistes, sa première monographie Le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase, d’autres petites vulgarisations comme Le sacré et le profane, La Nostalgie des origines, Aspect du mythe. Par sincérité pour le lecteur nous dirons qu’Eliade demeure très problématique à nos yeux. Il y a certes son appartenance de jeunesse à un groupe fasciste de Roumanie (il voyait le marxisme et le communisme comme les fossoyeurs des anciennes traditions et mythologies), mais il y a surtout ses théories - et pour le meilleur ou pour le pire, à notre connaissance, plus aucun historien des religions n’écrit comme lui. Il y a une visée spirituelle et politique en arrière fond de la pensée érudite de Mircea Eliade. Chez nous, en toute honnêteté, cette pensée suscite le soupçon. Il y a une visée spirituelle et politique derrière l’oeuvre de Jung aussi, et sa récupération par les milieux « New Age » n’arrange rien à l’affaire quand tant de mystifications accompagnent désormais ce « pape du temps du Verseau ». Mais nous y reviendrons peut-être. Il s’avère que Philip K. Dick a lu ces gens-là. Qu’il en a fait, comme toujours, son propre usage.

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À côté de Mircea Eliade et Carl Gustave Jung, il y avait François Tosquelles et Raymond Lulle. Le passé de militant révolutionnaire et de précurseur de la psychiatrie institutionnelle du premier et la curiosité empreinte de tendresse envers le monde musulman du second m’impressionnent davantage que l’érudition de nos savants et « papes » modernes.

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VII nous avertit rapidement:

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« Pour saisir l’essence d’un univers aussi fouillé que celui de Philip K. Dick, il est essentiel de s’attarder sur deux dimensions centrales de son oeuvre : spirituelle et politique. Chez l’auteur, ces deux dimensions ne sont d’ailleurs pas clairement dissociées. Dick lui-même affirme que ses « préoccupations métaphysiques » sont encore plus subversives vis-à-vis de la société capitaliste que le sont les considérations antimilitaristes contenues dans certaines de ses nouvelles. Il récuse l’idée répandue qu’il faut changer soi-même plutôt que de tenter de changer la société et répond « qu’il faut faire les deux. Changer les choses intérieures et les choses extérieures, les deux ». »

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VII, Prison de Fer Noir, Essai sur la pensée politique de Philip K. Dick, p 9-10, ed. Anti-Monde

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Et pour en revenir à la matrice - le commencement - de ce brouillon. À l’époque moderne, son mythe moderne - La Prison de Fer Noir -, VII cite avec raison Jean Baudrillard:

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« […] Disneyland est là pour cacher que c’est le pays « réel », toute l’Amérique « réelle » qui est Disneyland […]. Disneyland est posé comme imaginaire afin de faire croire que le reste est réel, alors que tout Los Angeles et l’Amérique qui l’entoure ne sont déjà plus réels, mais de l’ordre de l’hyperréel et de la simulation. Il ne s’agit plus d’une représentation fausse de la réalité (l’idéologie), il s’agit de cacher que le réel n’est plus le réel, et donc de sauver le principe de réalité. »

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Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, p 25-26, ed. Galilée

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Le simulacre se généralise, pour démêler l’intérêt de la pensée paranoïaque et insomniaque de PKD - un club auquel malheureusement j’appartiens - culminant dans son Exégèse, suivons un peu plus les mots de VII:

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« Dans ses romans ou son Exégèse, aucune grande vérité révélée, pas de certitudes, seulement le pressentiment que tout n’est qu’un simulacre, que le monde n’est qu’une conception théorique, une spéculation, une vue de l’esprit. »

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VII, Prison de Fer Noir, Essai sur la pensée politique de Philip K. Dick, p 98, ed. Anti-Monde

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Voici comment VII décrit l’expérience de février-mars 74 vécue par PKD:

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« Le 20 février 1974, une pharmacienne vint livrer à Philip K. Dick des comprimés analgésiques pour calmer la douleur due à une extraction dentaire. Il remarque alors qu’elle portait une chaîne dont le pendentif était un poisson en or, symbole utilisé par les premiers chrétiens. D’après lui, le poisson émit un rayon de lumière étourdissant et Dick fit soudain l’expérience de ce qu’il appela « l’anamnèse » : un moment de réminiscence permettant d’accéder à la somme tout entière de la connaissance.

L’anecdote du pendentif ne marqua que le début d’une série d’épisodes hypnagogiques qui durèrent des semaines. Visions hallucinatoires de « tableaux phosphéniques », transfert d’information par le biais d’un rayon de lumière rose, radio débranchée débitant des obscénités… Cette avalanche de phénomènes paranormaux bouleversa profondément l’existence de l’écrivain. Au travers d’une sorte de journal métaphysique appelé L’Exégèse, il consacrera le reste de sa vie à tenter de comprendre les événements de février-mars 1974 (événements auxquels il se réfère par les chiffres « 2-3-74 »).

L’Exégèse peut être considérée comme un patchwork d’hypothèses extravagantes ou, comme l’avoue l’auteur lui-même, « de conjectures délirantes ». Dans ce journal, Dick fait souvent le lien entre son expérience mystique et ses opinions politiques. Selon lui, derrière le décor du comté d’Orange se cache le monde-prison d’un régime tyrannique. Nous serions les détenus d’un empire et le monde visible ne serait qu’une immense cage métallique de laquelle nous devrions nous évader. Ce que les gnostiques nomment « la vulgaire cellule du Dieu créateur », Dick l’appelle « La prison de Fer Noir ». Cette Prison de Fer Noir est le prolongement de l’Empire romain des premiers siècles et l’auteur considère que c’est dans cette réalité factice qu’il vit et écrit depuis toujours. »

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VII, Prison de Fer Noir, Essai sur la pensée politique de Philip K. Dick, p 121-122, ed. Anti-Monde

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Et c’est naturellement que l’on pense à Jacob Boehme, à Grégoire de Nysse, à Joachim de Flore, à Giordano Bruno… je plaisante. Et c’est naturellement que nous pensons à Pacôme Thiellement cité aussi dans cet essai de VII.

Mais voyons comme par quelques pincées ces « hypothèses extravagantes » chez PKD:

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« Imaginons les conséquences sur notre perception/compréhension du monde, si nous cessions de recourir à l’espace et au temps comme catégories kantiennes de classification/structuration ! De fait, quand on suspend le recours à la causation, la perception du temps est radicalement modifiée (le temps se réduit brutalement), de même que celle de l’espace (selon la représentation que je m’en fais, le temps se transforme en espace, donc on a une diminution considérable du facteur temps et une augmentation considérable du facteur spatial) ; mais surtout, on a l’introduction, en tant que facteur complètement nouveau, d’une aperception de la pulsation oscillatoire (le système – ou la réalité – s’éteint et se rallume), ainsi qu’en processus décisionnel binaire bifide ; en somme l’occlusion est levée, tout simplement, et on se retrouve dans un autre monde, que j’assimile au Jardin [d’Éden]. Ceci n’aurait pas pu se produire avant la décennie actuelle et l’informatique, les nouvelles théories de l’information, la physique contemporaine, etc. C’est un processus qui s’amorce à peine. Et personne – je dis bien personne ! - n’a vu le rôle qu’y joue le mysticisme paulinien ; en fait, c’est l’élément récompense. Cela expliquerait que pendant plus de sept ans j’aie tantôt cru que le Christ était revenu sur terre, tantôt élaboré une sorte de vision du monde ultramoderne en lien avec la physique, l’épistémologie, etc. »

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Philip K. Dick, Classeur 90, feuillet 13, p 415, l’Exégèse Volume II, ed. Nouveaux Millénaires

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Ou:

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« C’est un intellect flottant qui transforme les objets en information à l’intérieur d’un cerveau, un cerveau qui traite les objets et leurs connexions causales comme de l’information ; il est tout particulièrement actif dans nos médias, nos systèmes de communication, et a recours à la discrimination figure-fond. Je dois admettre que cela, je ne le comprends pas vraiment ; comment se fait-il que nous ne captions pas, mettons, ses métamorphèmes ? Peut-être parce que nous ne sommes pas capables d’en extraire les traits distinctifs. Oui, ça colle parfaitement. Dois-je en conclure que je suis le seul être humain à en avoir conscience ? Non, certainement pas. Ce qui me différencie (je suppose), c’est que j’ai tant lutté pour analyser ce qui m’est arrivé… Non, ce n’est pas ça. Ou alors, cela n’est ici que depuis peu ? Non ; ce n’est pas ça non plus. Ça n’opère pas dans le temps et dans l’espace ; cette chose est morphologiquement éclatée… ou bien elle utilise un axe temporel rétrograde, ce que je nomme temps néguentropique. Je ne sais pas. Il est impossible que personne d’autre que moi ne l’ait vue… sauf qu’on ne peut la voir que si on est incorporé en elle. Alors je suis peut-être le seul à être assez bête pour en parler. »

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Philip K. Dick, Classeur 1, feuillet 248, p 308, l’Exégèse Volume II, ed. Nouveaux Millénaires

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Et:

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« C’est un monde autocausé, autoengendré et automû – ce que les Milésiens recherchaient comme cause et origine du monde. Il n’y a pas de déité extérieure, rien d’antérieur au monde. C’est Dieu au sens spinozien du terme. Les conclusions auxquelles étaient parvenues les présocratiques étaient exactes : s’il n’y a pas de déité adventice pour causer, gouverner, orienter et diriger le monde, alors celui-ci est doué d’intelligence consciente, au moins en partie, ainsi que de volition, « et {est} responsable de sa propre croissance évolutive ». Ce qui s’est passé, c’est que la religion (surtout le christianisme) a réinstauré la déité non existante anthropomorphe et adventice, le modèle artificier/artefact, si bien que le monde n’a de nouveau plus été perçu comme organique, autogouverné, vivant et responsable de sa propre croissance. Le caractère surnaturel est revenu, et les chrétiens ont été considérés comme « dans mais non de » ce monde ; ils étaient hostiles envers le monde et le voyaient comme hostile envers eux. Ils situaient Dieu en un lieu mystique appelé « plérôme ». Le monde est donc déprécié, dévalué, dépouillé de toute vie, de toute volition. L’oeuvre des présocratiques était défaite. Dieu n’était plus à chercher dans le monde mais malgré et contre lui ; on le recherchait dans un règne prétendument spirituel. D’étranges concepts tels que le « péché originel » accèdent à l’existence, ainsi que les notions de récompense et de châtiment, ce qui constitue un retour à une époque antérieure aux Milésiens. On a recours au surnaturel pour expliquer les phénomènes, et c’est l’émergence des temps sombres .

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Philip K. Dick, Classeur 47, feuillet 696, p 154-155, l’Exégèse Volume II, ed. Nouveaux Millénaires

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Et encore:

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« Possibilité : ma personnalité tend naturellement vers l’état de fugue. Soumise à des pressions extrêmes, cette tendance s’est repliée le plus loin possible – c’est elle qui a pris le dessus en 1970 quand j’ai pris de la mescaline. Personnalité psychotique et tendance à l’état de fugue = psychotique. Après quoi, un moi non enclin à la fugue (« Thomas ») a pris le dessus en février/mars 74 quand l’autre n’a plus pu se replier plus loin. Une pression suffisante m’a rendu la santé mentale parce que je ne pouvais plus me replier plus loin. La notion-clé ici est : affronter la réalité, lui faire face, et non plus la fuir. En février/mars 74, mes problème ne pouvaient plus être esquivés ; d’où l’épiphanie de Thomas. L’état de fugue comme moyen de (dispositif pour) faire front a cessé de fonctionner. »

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Philip K. Dick, Classeur 48, feuillet 989, p 187, l’Exégèse Volume II, ed. Nouveaux Millénaires

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La réactualisation d’un mythe ancien par PKD n’a rien d’étonnant pour une société qui s’enthousiasme de la sortie d’Avatar second volet au cinema… Écoutons l’avis de Jean-Pierre Mahé et Paul-Hubert Poirier:

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« Qui blasphème, en réalité, contre l’essence divine ? Le gnostique, qui exempte Dieu de tous les vices du monde matériel, ou le chrétien ordinaire, qui divinise l’auteur impuissant et pervers de ce monde dépravé, le législateur vindicatif qui châtie les âmes dans des corps mortels et les retient prisonnières de l’Hadès ? Malheur à ceux qui ne savent pas faire la différence ! Le silence de Dieu devant la souffrance et le mal est l’énigme métaphysique la plus angoissante. Comment concevoir l’absence de celui qui emplit l’univers, ou l’indifférence de l’infiniment bon ? Le gnosticisme a essayé d’apporter une réponse. Certains ont pu y voir un effort pathétique pour sauver l’innocence de Dieu en spiritualisant l’interprétation de la Genèse et de l’Évangile. »

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Jean-Pierre Mahé et Paul-Hubert Poirier, Écrits gnostiques, p XXVII, ed. Gallimard.

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« Mais la dynamique de la gnose déborde les confréries et les cercles initiatiques. Elle s’infiltre dans l’alchimie, devenue, depuis l’époque de Zosime de Panopolis (IIIe-IVe siècle), beaucoup plus qu’un savoir technique, une méditation sur la permanence et la transmutation de l’être. En privant le vil métal de ses qualités naturelles pour en faire le « noir parfait », masse indifférenciée que l’on requalifie en or, on s’entraîne à se transformer soi-même, on s’exerce à s’affranchir de tous les états de conscience pour rejoindre son moi transcendant. De même l’ésotérisme juif, qui donnera naissance à la kabbale des XIe-XIIe siècles et à ses variantes chrétiennes ultérieures, enseigne à s’arracher du monde physique pour atteindre les sphères célestes, chères à nos visionnaires séthiens, émules d’Allogène et de Zostrien. »

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Pierre-Jean Mahé, Écrits gnostiques, p LXX, ed. Gallimard.

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Et nous sommes bien de cet avis aussi:

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« Au seuil du XXIe siècle, le rêve d’une connaissance totale et rédemptrice de la destinée humaine continue de hanter nos contemporains. »

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Pierre-Jean Mahé, Écrits gnostiques, p LXXI, ed. Gallimard.

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Nous pensons donc que VII n’a pas perdu son temps, par cet essai, il braque le viseur sur une charge imaginal - et émancipatrice -, sur une histoire subversive, sur un mythe moderne dont nous devrons nous rendre conscients si nous ne voulons pas finir prisonniers à la manière des sethiens dans une réalité qui n’est qu’un piège ou une prison. Car, n’est-ce pas encore ainsi que la Prison de Fer Noir est partout et dans la montagne de signes, de lettres, de symboles que nous utilisons ou qui nous utilisent, n’est-ce pas encore, et pour la théorie critique, la subversion, l’émancipation, la PFN, toujours elle?

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« La subversion est devenue un des beaux-arts, un culte et un ornement bourgeois. Elle a ses festivals, ses inaugurations officielles. Elle est devenue une rhétorique de la modernité : son propre mythe. Son épuisement a produit le terme symptôme (absurde en soi) de postmoderne. C’est l’épuisement du mythe révolutionnaire, du politique à l’érotique, du poétique au social : institutionnalisé, ou renoncé, dogmatique mimé. Divers néoacadémismes. L’hostilité elle-même a changé : elle a intégré une part de ce qui relevait de la théorie, la repoussant de plus en plus aux limites, ainsi dans le dehors qu’est le terrorisme. »

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Henri Meschonnic, Critique du rythme, anthropologie historique du langage, p 23, ed. Verdier

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Qu’en est-il vraiment?

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« Au fil de ses récits et de son Exégèse, Dick s’est constamment amusé à avancer et déconstruire des hypothèses. Très tôt, il développera l’idée que le capitalisme privilégie l’artificialité pour favoriser la manipulation. D’où le besoin de plonger l’inconscient collectif dans une fausse réalité afin d’éviter que chacun ne prenne conscience de sa condition sociale véritable. Mais à vouloir abuser des hallucinations, la société tout entière finit par prendre un caractère hallucinatoire, comme dans Le Pavé de l’enfer de Damon Knight. »

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VII, Prison de Fer Noir, Essai sur la pensée politique de Philip K. Dick, p 188-189, ed. Anti-Monde

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VII vous apprendra bien des choses sur PKD, et PKD sur vous-même. Une précision néanmoins:

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« Finalement, à ceux qui se demanderaient si Dick se préoccupait oui ou non de politique, nous pourrions répondre par une question toute simple : quel autre auteur de science-fiction a consacré autant de romans et de nouvelles à nous mettre en garde contre l’autoritarisme étatique ? À notre connaissance, aucun. »

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VII, Prison de Fer Noir, Essai sur la pensée politique de Philip K. Dick, p 188, ed. Anti-Monde

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Un chien a-t-il la même nature que Bouddha?

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La question est ouverte. Nous présenterons, comme élément partiel pour une réponse, simplement ceci:

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« Mais comme nous ne voulons plus du démiurge platonicien ni de l’idéalité des formes aristotéliciennes, comme au contraire tout nous pousse à admettre l’idée de la nouveauté dans l’être lui-même et pas seulement comme une impression subjective, je pense qu’il nous faut faire une ontologie, une nouvelle ontologie dans laquelle le chaos sera la « détermination » fondamentale de l’être, qu’on peut préciser en parlant d’une part d’inexhaustibilité et d’autre part surtout de la capacité immanente de création, d’une vis formandi de l’être; et on peut soutenir, et je le ferai, que cette inexhaustibilité de l’être vient de cette immanence de sa vis formandi

Je voudrais avant d’aller plus loin justifier cette idée de création, de création immanente. Il y a du nouveau absolu; nouveauté ne veut pas dire imprévisibilité. Si vous jouez à la roulette, le 27 va peut-être sortir, c’est imprévisible mais ce n’est pas nouveau : il est déjà sorti des milliards de fois, ce n’est pas l’imprévisible qui est nouveau et ce n’est pas l’indétermination comme telle qui donne la nouveauté. Les phénomènes quantiques, quand on arrive à la réduction du paquet d’ondes, sont en un sens indéterminés, ils ne peuvent donner que des probabilités, mais ils ne sont pas nouveaux, c’est toujours ces misérables protons ou électrons que vous allez retrouver. La nouveauté, c’est l’indéductibilité et l’improductibilité, c’est-á-dire l’inconstructibilité de X à partir de l’ensemble de la situation précédente. Cet ensemble de la situation précédente vous donne toujours des conditions nécessaires, mais ces conditions, dans le cas qui nous intéressent, où il y a du nouveau, ne sont pas suffisantes, d’où la nouveauté de ce qui est crée en tant que forme, en tant qu’eidos ; la création est ex nihilo mais elle n’est pas in nihilo ni cum nihilo ; elle surgit quelque part et elle surgit moyennant des choses.

Chaos est le fond de l’être, c’est même le sans-fond de l’être, c’est l’abîme qui est derrière tout existant, et précisément cette détermination qu’est la création de formes fait que le chaos se présente toujours aussi comme cosmos, c’est-à-dire comme monde organisé au sens le plus large du terme, comme ordre ; seulement, nous découvrons constamment que l’organisation et l’ordre ultime de ce cosmos nous échappent. Ils nous échappent parce que, précisément, il n’y a pas de réductibilité des diverses strates de ce qui se présente comme être à d’autres strates qui seraient, soi-disant, plus fondamentales ou plus élémentaires. Je pense pour ma part qu’il n’y a pas de réduction possible du social-historique au psychique, ni des deux à autre chose, et qu’il n’y a pas de réduction possible du biologique au physico-chimique, pour la très simple raison que ce qui émerge par exemple déjà avec le biologique, c’est un sens tel qu’il n’existe pas dans le monde physique, c’est-à-dire un sens pour soi, un sens visant par exemple à l’autoconservation, à l’autoreproduction. Une étoile, une galaxie, se fiche de s’autoreproduire ou de se conserver, elle se conserve ou elle ne se conserve pas, ce sont des lois »

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Cornelius Castoriadis, Faux et vrai chaos, Figures du pensable, les carrefours du labyrinthe VI, p 281-282, ed. Seuil.

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Restez attentif.ves:

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« Par rapport au système nerveux central, il y a l’émergence du sens pour soi ; par rapport au psychisme biologique, le sens que la psyché humaine crée ou est en créant est défonctionnalisé. Ce sens dans la psyché humaine n’est pas astreint à la conservation de l’individu ni à la reproduction de l’espèce. Les hommes et les femmes font l’amour depuis des milliers et des dizaines de milliers d’années, indépendamment du fait de savoir s’ils vont procréer ou pas ; une chienne, non. La sexualité n’est pas fonctionnelle chez l’être humain, elle l’est chez tous les mammifères qu’on connait et les autres êtres sexués. »

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Cornelius Castoriadis, Faux et vrai chaos, Figures du pensable, les carrefours du labyrinthe VI, p 283, ed. Seuil.

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VII est un rappeur prolifique depuis plus d’une décennie. Si nous invitons à prendre connaissance de son dernier livre Prison de Fer Noir - Essai sur la pensée politique de Philip K. Dick, bien sûr nous aimons toute l’oeuvre de VII, un peu comme nous aimons toute l’oeuvre de David Lynch, et nous la, les recommandons donc dans leur intégralité.

Et nous parlerons du gore et de l’horror core une autre fois…

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Méditons ensemble aussi si vous voulez bien…:

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« qui ne s’est pas connu n’a rien connu, mais celui qui s’est connu lui-même a déjà acquis la connaissance de la profondeur du Tout. »

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Livre de Thomas (II, 7)

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« Si l’homme n’est pas fou c’est qu’il n’est rien. Le problème c’est de savoir comment il soigne sa folie. Si vous n’êtes pas folle, comment voulez-vous que quelqu’un soit amoureux de vous? Pas même vous, vous comprenez. Ce qui ne veut pas dire que si vous ne savez pas être folle alors on va vous foutre à l’hôpital psychiatrique, parce que les fous qu’on met dans les hôpitaux psychiatriques, c’est des types qui ratent leur folie. L’important de l’homme c’est de réussir sa folie. »

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François Tosquelles à Cécile Hamsy, octobre 1985

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Un chien a-t-il la même nature que Bouddha?

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Notre réponse est: « Le chien ne vous le dira pas. »

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Mais nous laissons les mots pour la fin à l’auteur, dont nous sommes par son oeuvre, ici redevable:

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« Égalitaristes, antiautoritaires, réfractaires à la hiérarchie et au travail, etc. : les gnostiques opèrent un renversement radical, ils élaborent une toute nouvelle façon de vivre leur chrétienté.

Dick non plus ne peut être considéré comme un chrétien tout à fait ordinaire. Dans sa conférence de Metz, l’auteur développe des concepts qui transcendent largement les conceptions chrétiennes ou gnostiques habituelles. »

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VII, Prison de Fer Noir, Essai sur la pensée politique de Philip K. Dick, p 162, ed. Anti-Monde

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« En proclamant l’égalité entre les hommes, l’égalité entre hommes et femmes et l’égalité avec les animaux, les gnostiques restent fidèles à l’enseignement émancipateur de Jésus. La gnose repousse fermement l’idée d’une quelconque hiérarchie entre l’homme et la femme et ne tente pas de les reléguer hors de toute activité citoyenne. La bibliothèque de Nag Hammadi trace le portrait d’un Jésus philogyne différent de celui des Évangiles canoniques. Les gnostiques ne partagent pas non plus cette horreur de la chair et de la sexualité si prégnante dans les écrits de l’apôtre Paul […]. »

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VII, Prison de Fer Noir, Essai sur la pensée politique de Philip K. Dick, p 161, ed. Anti-Monde

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« S’il y a bien une chose que Dick rejette depuis toujours, c’est bien le pouvoir. […] Il sait que le pouvoir est détestable, qu’il corrompt la raison, que c’est une posture psychologique abaissante et terriblement funeste.

À la fois passionné de Philip K. Dick et de la pensée gnostique, Pacôme Thiellement définit le pouvoir comme quelque chose "d’intrinsèquement maléfique." »

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VII, Prison de Fer Noir, Essai sur la pensée politique de Philip K. Dick, p 157, ed. Anti-Monde.

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RAP AND REVENGE: https://www.rapandrevenge.com

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VII - La Prison de Fer Noir © VII

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