Cristobal Flores Cienfuegos
Rêveur, menteur, transfuge, contrebandier, barde raté
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Billet de blog 7 févr. 2023

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Chroniques d'un Soleil Vert (2017 - 2018) - 8/??

Moralité : je préfère me faire fracasser la gueule par des toxicos en manque que par un prolétariat fier de sa conscience de classe… Dans ce cas précis, on va dire.

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8 novembre 2017. Avant de filer au centre, je passe par le terminal. El negro Leo, un ami de la choza azul me rend bien service en me baladant sur sa moto. « Franchoi, te fais pas buter dans une zone contrôlée par un syndicat de mineurs, on commence à te connaître... » J'achète mon billet pour Ciudad Bolívar : « Normalement je vais pas rester en ville, je trace au nord, sur la côte et ensuite à Caracas, pour la feria, donc commencez à prier pour moi dans deux semaines... » - « Surtout ne sort pas ta caméra dans ces coins tu veux... » - « Non je vais sortir mon fil et mes pierres, je ne serai plus qu'un artesano mochilero qui n'arrive pas à vendre au Venezuela et qui voyage direction le Brésil ou la Guyane (anglaise?) ! » - « Tu es malin, ne sois juste pas aussi caractériel, ebrio o sobrio el francés es terco ! »

J'arrive à la Casa Amarilla, la petite bande est réunie. On discute de serpents, de parajo carpintero, de mythes et de poésie. Elle n'est pas si proche la révolution des russes...

La manaca et le manioc avant d'aller vers la capitale... Je vais au terminal. Le coup du destin pour me remettre sur les rails: le bus qui devait arriver n'arrivera pas. C'était le dernier de prévu pour la journée et il s'est craché sur la route de Gulliver. À l'époque du héros guérillero pintoresco le voyage durait sept heures, les camions de marchandises affluaient dans un sens et dans l'autre. Aujourd’hui...

J'embarque pour Caracas directement. Au moins je n'échapperai pas à la Feria. Les artistes recherchent communément ce genre de consécration, tant mieux pour eux... Je voyage en agréable compagnie, par hasard,la mama « adoptive » de Luis. Une dame charmante, retraitée mais toujours active dans sa branche de l'enseignement.

Dans le bus nous discutons, la nuit est longue, la route mouvementée empêche de pioncer. Certains demeurent dans l'isoloir du portable et des écouteurs mais d'autres sont bavards comme ma personne. Un type me fait la devinette : « Alors, c'est qui qui gouverne Puerto Ayacucho ? » - « Je suppose que el gobernador ! » - « Allez, allez... » - « Bah la guardia alors !... » - « Dans la rue peut-être qu'ils font la loi mais à part eux tu sais pas ? » - « Jaja, je sais très bien ce que tu veux me faire dire je connais assez le Meta et le Vichada pour te dire ce que tu as envie d’entendre... » - « Et tu crois que ça va s'arrêter un jour ? » - « Un jour... » - « Non ! La guérilla s'est installée chez nous, comment tu vois ça francés, t'aimerais bien qu'on s'installe chez toi ? » - « Jaja, mon pays il a plutôt l'habitude de s'installer chez les autres, et franchement, la souveraineté nationale c'est le problème de l’armée et pas le mien... » - « Alors tu trouves ça bien ? » - « J'ai pas à me prononcer, les garimpeiros ont juste changé de nom et de langue, et aussi peut-être de cause, mais de ce que j'en sais les FANB ne se comportent pas mieux… après d’après toi avec une uniforme vénézuélien tu peux t'approprier la jungle plus légitimement ? » - « Ce que je veux dire c'est que des étrangers ne peuvent pas dicter leur loi... » Un voisin de siège écoute attentif la conversation mais ne dit rien. J'ai appris à reconnaître ce genre de type... Lors d'un contrôle, plus loin il me demande une clope et m'invite à aller discuter à l'écart. Il me demande ce que je fais à Ayacucho, ce que je fais « vraiment ». Je lui sers la vérité. Je garde mes contes pour la guardia... « Et tu me demandes pas ce que moi je fais en Amazonas ? ou tu as déjà compris, j'écoutais la conversation, tu m'as paru intelligent... » - « Bien sûr que j'ai capté.. vous avez mauvaise réputation t'as vu ? » Rires. Il est certain que l'ELN dispose d'une certaine influence à Puerto Ayacucho. Luis me disait que c'est depuis les années 90 qu'ils utilisent la ville comme « base arrière », ou lieu de repos - et mon quartier dispose de ses retraités des guerres voisines. Assurément que Miguel Rodriguez, le gouverneur, ne peut pas mettre en question, du moins ouvertement et en publique, leur domination d'une partie du territoire plus au sud ; ils sont organisés, disposent de réseaux efficaces, d'une logistique impressionnante. Et Luis ajoutait : l'État colombien que les chavistes détestent autant que les guérilleros colombiens fait toujours dans la répression, la torture, l’exécution des subversifs, et de gens pas toujours engagés dans la lutte armée parfois... « Un allié de circonstance » - un moyen de pression sur le voisin - donc, pas « un envahisseur », dans la perspective du mon ami…

La nuit passe entre somnolences et écoutes des conversations nocturnes. Je scrute les étoiles. Cette géante rouge, je ne la connais pas… il me semble.

9 novembre. Caracas. Errance la matinée dans le quartier, aux abords de la station de métro Bellas Artes. Je rencontre les artisans de la rue. L'un de ces artisans sympathise avec moi et m'accompagne pour me montrer les ficelles, sandale au pied droit, chaussure de chantier au pied gauche. Ces travailleurs dorment dans la calle, la rue, leurs affaires gardés dans un parking souterrain par un colombien féroce mais honnête. Ballade en planeur, ou fumette. Une connaissance de mon pote rencontré plus tôt s'approche. Il est méchamment amoché... « Qui t'a cogné aussi dur compa ? » - « Ceux-là qui vous regardent fumer avec haine et dédain, ese colectivo de chavistas... » [Collectif de quartier, ici chavistes, mais imposant leur vision « des moeurs » avec brutalité] Ils lui sont tombés dessus à grands coups de pierres... Je m'en suis mieux sorti avec les bazukeros [Des consommateurs de crack m’ayant passé à coup de pierre aussi] que lui, avec ces militants « rouges ». Ces « révolutionnaires », font respecter leur vision de l'hygiène sociale ; les marginaux - ces lumpens comme ils disent - ne feront jamais de grande société mensongère ou socialiste, de celle qu'ils construisent avec zèle et idéologie, ces « organisés ». Ce soir ces « chavistes » iront se saouler la gueule, joueront à qui est le plus macho et siffleront en zieutant le cul des gamines... La légalité de la connerie, des brutes homologuées, des « rouges » plus flics que les flics... Je vais pas m'en étonner, j'en ai connus une tripotée ! Moralité : je préfère me faire fracasser la gueule par des toxicos en manque que par un prolétariat fier de sa conscience de classe… Dans ce cas précis, on va dire.

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Le fichier pdf:

(pdf, 66.2 kB) © Salha

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Illustration 2
Muraux chavistes (Puerto Ayacucho - Venezuela) © Salha

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