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Billet de blog 15 février 2021

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La Vierge de Cire (traduction d'un conte d'Abraham Valdelomar)

Chaque jour apparaissait un cadavre crispé et ce hameau prit l'aspect d'un village fantôme. Les vieux se taisaient toujours, les jeunes ne s'aimaient plus, les enfants ne riaient jamais et les femmes étaient la proie d'hallucinations. Cette race commença à s'éteindre...

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La vierge de cire

(traduction d’un conte irlandais d’Abraham Valdelomar, auteur péruvien)

Pour le Dr. Castro Rojas

I

-Le roi... 

-Toujours des contes royaux!...

-Les rois sont les majestueux et les généreux. Sur leurs têtes triomphe l'or ciselé et sur leurs trônes sourient les pierres d'Afrique. Ils magnifient nos histoires.  Ils possèdent joyaux, femmes et esclaves. Des favorites du Caire et des lits taillés dans le marbre rose. Ils achètent les chants des troubadours sentimentaux et les graves maximes des philosophes; l'honorabilité des gentilshommes, la discrétion des dames et la fine condescendance des chevaliers.

Parlons des rois! Nos contes sont splendides par leurs grâces et ils emplissent de pompes nos pensées. L'or et les rois!

… La villa de mademoiselle Indrah était enveloppée dans une atmosphère de superstitions. Il n'y avait dans le village personne qui aurait osé s'aventurer par-delà les clôtures des jardins ni jusqu'au mystère des chambres de la maison. Certains disaient voir sortir la maîtresse, de nuit, entourée d'énormes vampires qui la tenaient captive, et qu'elle alimentait avec son sang. D'autres disaient qu'elle volait les enfants des villages pour boire leur sang frais et d'autres disaient la voir s'enfuir de nuit, vers les forêts des contrées voisines.

Une fois courut le bruit dans le village qu'un pèlerin qui était parvenu jusqu'aux grilles du château vit Indrah qui pleurait, derrière une haie. Plus tard on finit par entendre que la jeune femme énigmatique était sortie la nuit en procession dans les rues du village; la peur s'empara des simples villageois, et, comme personne ne ressortit de nuit, les processions se multiplièrent. 

Alors débutèrent les prêches et les prières en publique. On laissa des fleurs en guise d'offrandes dans les temples et on brûla des cheveux d'enfants dans les demeures; enfin on disposa des oiseaux blancs dans les sarcophages et on pensa offrir la vierge la plus jeune en holocauste. Malgré cela, un jeune valet de ferme, qui s'éloignait une nuit du grillage de chez sa bien-aimée, dut se cacher à la hâte. La procession passait... 

-C'était Indrah?

-C'était Indrah parmi un groupe d'incurvés à l'aspect de vampires noirs desquels on ne voyait que leurs yeux. Au centre, presque mourante et appuyée sur le bras de l'un d'entre eux, avançait la pâle vierge de cire. Indrah était d'une transparence opaline et aucune couleur ne profanait la blancheur de la jeune femme. L'escorte sous de grandes capes sombres ruminait des sonates incompréhensibles.

Le jour suivant le jeune valet fut découvert, hébété et victime d'une horrible crispation. Il mourut en décrivant non sans interruption la procession de Indrah. Dès lors dans le village, la peur se mua en terreur. Les hommes commencèrent à s'inquiéter; les vieillards se promenaient taciturnes et courbés comme s’ils pensaient à de sombres choses; les femmes ne se montraient plus dans les jardins asséchés et morts; les jeunes garçons délaissaient dorénavant les champs; et les plus jeunes, tristes et pâles, s'endormaient dans les coins humides de leurs berceaux.

Chaque jour apparaissait un cadavre crispé et ce hameau prit l'aspect d'un village fantôme. Les vieux se taisaient toujours, les jeunes ne s'aimaient plus, les enfants ne riaient jamais et les femmes étaient la proie d'hallucinations. Cette race commença à s'éteindre... 

II

-Qui était Indrah?...

-Personne ne le savait. Un aventurier fou, un assassin original, un déçu ou un être exceptionnel, alla vivre sur les rochers d'un pays nordique bordant la mer et où le soleil ne se lève jamais. C'était le roi Mindor.

Afin d'arriver jusqu'à son promontoire il fallait traverser des landes où le vent soufflait sans cesse, un vent glacial qui retroussait les manteaux  et fendait les lèvres. En douze journées on atteignait le château de Mindor. Le roi disposait de vassaux pour mener à lui les voyageurs errants, qui par la grâce de la générosité de Mindor, dormaient au château, étaient conviés à des banquets extraordinaires durant lesquels les voyageurs devenaient fous de plaisir, jouissances qu’on croyait induites par les boissons aphrodisiaques. Dans cet état de bonheur suprême les voyageurs étaient transférés vers le jardin du château où se trouvait le puits circulaire orné de boucliers en onyx. Le puits présentait quelques marches de marbre comme le perron d'un palais souterrain, quand l'une d'elles pivotait, elle jetait dans les profondeurs celui qui foulait le célèbre escalier.

En ce lieu on conduisait les voyageurs, ivres de ce bonheur suprême, qui en tombant dans le puits allaient se mélanger avec les cadavres des malheureux qui les avaient précédé aux banquets du château. Nombreux étaient ceux qui vivaient encore, fous, au fond du gouffre qui était une bouche de l'enfer. Un fois tous les vingts jours, au coucher du soleil, on ouvrait les énormes portes de ce puits abyssal et sinistre. Le roi, accoudé au bouclier avec sa coupe en or entre les mains, regardait prisonnier d'une joie fiévreuse les trappes s'ouvrir et les eaux se précipiter, puissantes et grandioses, et comment tourbillonnaient ensemble les restes humains.

Rapidement l'élément naturel remplissait tout le puits et alors on refermait les trappes et laissait l'eau à nouveau s'échapper.

-Mais Indrah?

-C'était la fille du roi. Un soir les chevaliers au service de sa majesté dessinèrent leurs silhouettes sur l'horizon obscur et froid de la contrée. Peu à peu leurs formes se firent plus précises et aux pieds du château on vit arriver un nouveau pèlerin, un jeune blond, d'une couleur vive, au visage brûlé et aux lèvres tailladées. Indrah éprouva à son égard un amour qu'elle n'avait jamais ressenti pour quiconque venait au château afin d'y mourir au fond du puits. Elle ne les voyait que durant les banquets et les soirs de réceptions qu'offrait Mindor à ses victimes. Cette fois, Indrah était amoureuse.

-Elle assista au banquet?... 

-Oui. Les yeux pleins de tristesse, elle souffrait atrocement face au spectacle des célébrations. Une fois les mets consommés, quand Nildo, ainsi s'appelait le jeune-homme, se vit comblé d'avoir bu les vins dorés et rougeoyants, les pages le portèrent sur une chaise jusqu'au jardin du puits. Indrah, qui avait tout vu, suivit son père:

-Pas encore, père!

Mindor ne répondit pas. Les écuyers continuèrent leur chemin parmi les haies et sur un bouclier installèrent Nildo, lequel ne se rendait compte de rien. Et le roi, s'adressait à lui:

-Et vous n'avez pas encore vu, mon beau jeune homme blond, mes palais enchantés. Vous allez pénétrer dans le royaume le plus vaste et le plus puissant. Là-bas les jardins sont éternels, les parfums doux et enivrants et les femmes belles et généreuses. Le Soleil du matin ne se couche jamais, et ceux qui sont partis pour cette terre royale ne sont plus revenus... Voulez-vous la voir?

-Oui, magnificence!

-Père! - s'écria Indrah dans un élan sauvage et guttural – Père, celui-là non!

Nildo sans comprendre souriait songeant à de meilleures caresses. Les laquais le firent entrer dans le puits par les marches en marbre qui dissimulaient l'horrible secret. Nildo avança tranquillement.

-Père!...

La dalle pivota. L'impact du jeune-homme sur l'eau produisit un claquement qui résonna effroyablement dans les profondeurs du puits. Le roi tendit l'oreille, pendant que Indrah, folle, se perdait à travers les haies du jardin. Accoudé au bouclier en onyx le roi observait avec une immense satisfaction. Il voyait, dans l'obscurité du puits, comment les hommes affamés lui mordaient les doigts à Nildo, et les autres autours, fous, riaient de voir la scène funèbre qui se perpétrait dans la vase de ce nid infernal.

-Ouvrez les trappes! - cria Mindor – et un torrent déchaîné descendit, noyant dans ses tourbillons les cris de douleur et de folie, ainsi que les gémissements horribles. Le puits se remplit.

-Fermez!... Hâtez-vous de fermer!...

L'eau ne voulant guère se retirer atteignait maintenant le bord des boucliers. Le roi cria encore plus fort:

-Fermez, laquais, fermez plus vite!...

Dans la salle des trappes personne ne répondait. Le puits fou commença à déborder chaotiquement. On aurait dit que toute une mer se précipitait furieuse par ce gigantesque vortex. Depuis les profondeurs se firent entendre des hurlements formidables et le grincement des chaînes, la terre que foulait le monarque trembla et tout se perdit dans l’impulsion majestueuse des vagues. Une invasion monstrueuse de la mer arriva jusqu'au palais, inonda les jardins royaux de façon vertigineuse, en peu de temps tout-ça était devenu le domaine de la mer, qui après avoir profané les galeries royales et les salons d'or, prit d'assaut toute la contrée et ne s'arrêta pas... elle ne s'arrêta pas durant de nombreuses journées la mer.

-Indrah?

-Folle et désespérée d'avoir vu tombé Nildo elle prit les clés des trappes, tua le vieux gardien et ouvrit pour toujours les fosses au brutal élément. Ensuite, quand son père s'écria:

-Fermez, laquais, hâtez-vous de fermer les trappes!, Indrah jeta les énormes clés au fond de la mer et prit la fuite, précipitamment...

Personne ne sait quand elle arriva pour vivre dans la villa de ce pays, où les villageois disent qu'elle sort les nuits pour rechercher Nildo.

-Mais les incurvés?...

-De jeunes pèlerins qu'elle avait sauvé et qui ne l'abandonnèrent jamais. Les nuits de procession, ils l'accompagnaient en lui témoignant la plus grande attention, et après avoir parcouru le village ils retournaient à la villa avant le lever du soleil

III

Et au village mouraient les gens victimes d'horribles crispations. Un jour tout le village se réunit et il se décida qu'ils iraient surprendre Indrah dans son palais. On appela les paysans des contrées voisines et tous ensemble, à l'heure du crépuscule, ils s'élancèrent vers le palais armés de pierres, de pics et de fourches.

Ils bousculèrent de vieux gardes et pénétrèrent jusqu'au grand salon obscur où ils pensaient trouver Indrah et les vampires. Les anciens serviteurs de Indrah s'enfuirent et dans la fuite laissèrent chuter le corps de la vierge sur lequel se précipitèrent les villageois.

-C'était le cadavre de Indrah?

-Non. C'était une copie faite de cire. Indrah était certainement morte et ces hommes, en son honneur, la firent revivre dans ce bloque sculpté, qui, comme s’il s’agissait d'Indrah, ils promenaient toutes les nuits, à travers le village.

-A quel moment se fit la copie?...

-Encore personne ne le sait, mais si on voyage par ces pays du nord, froids, secs, et jonchés de tours de garde, les vieux racontent cette légende de la vierge de cire et du roi Mindor.

Voyager par les pays du nord est source d'une profonde mélancolie. Ils possèdent des légendes pleines de tristesse et – l'Europe ne le sait pas – sur des rochers abruptes et abandonnés, vivent encore certains de ces rois.

Tu es triste. Ils sont pas toujours beaux les contes royaux!

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