La cena de Atahualpa
I
Es la noche pavorosa
Que ve al imperio de Manco
Desplomarse en la celada
Del astuto Castellano.
Suena el ronco clamoreo
De enfurecidos soldados,
Y restallan arcabuces,
Y retumban fieros tajos.
Bajo el filo de la espada,
A los pies de los caballos,
Agonizan y sucumben
Niños, mujeres y ancianos.
No hay compasión en las almas,
En el herir no hay descanso;
Es el eco un ay de muerte,
Cajamarca un rojo lago.
II
Cual amigo con amigo
Atahualpa con Pizarro,
Departen, cenan y beben,
Sorbo a sorbo, lado a lado.
« Gusta el vino de Castilla,
Noble Monarca peruano;
Bebe un licor más sabroso
Que tu néctar celebrado ».
Refrena el Inca la rabia,
Y devora el hondo vaso,
Y, murmura en sí, volviendo
Afable rostro a Pizarro:
« Licor más puro y sabroso
Beberé muy pronto acaso:
La sangre vil de extranjeros
En la copa de tu cráneo ».
Le dîner d’Atahualpa
I
C'est l'effroyable nuit
Qui voit l'empire de Manco
S'effondrer par la tromperie
Du Castillan maraud.
Résonne la clameur gutturale
Des soldats que la rage incombe,
Et elles claquent les arquebuses,
Et d'affreux gravats retombent.
Sous le tranchant des lames,
Aux pieds des chevaux,
Femmes, enfants et vieillards
Succombent au fléau.
Les âmes sont vides de compassion,
La violence ne se repose pas ;
Un cri de la mort est l’écho,
Et un lac rouge Cajamarca.
II
Mais c'est comme de vieux camarades
Qu'Atahualpa et Pizarro,
Discutent, se restaurent et qu'ils boivent ,
Lampée après lampée, liquide du même goulot.
« Aimez- vous le vin de Castille,
Mon noble Monarque du Pérou ;
Car il surpasse de loin en tout,
Ton nectar vanté partout ».
L'Inca retient toute sa fureur,
Pour absorber le verre immense,
Puis, en gardant les apparences
Devant Pizarro tout seul pense :
« Une liqueur plus exquise encore,
Peut-être boirai-je avant l'aurore :
Le sang souillé des étrangers
Dans la coupe de ton crâne ».
*Atahualpa: dernier empereur du Tawantinsuyu, l'empire inca indépendant.