Suaire pour la pierre
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Elle est dans les bistrots, elle est dans les griffures,
elle est comme un mégot qui s’assoie des parures,
elle est tout ce que j’aime et la cendre et la houle,
et nous ressemble même au milieu de la foule,
elle est tout petit pas, la bagnole qui crame,
l’anti-commissariat de ce regard sans blâme,
elle a les yeux au vert mais parfois juste au gris,
elle est dedans mon verre où je me suis appris,
elle est comme une drogue, elle est comme un danger,
dans ces pauvres pirogues, dans le riche oranger,
dans le jardin détruit, dans la flûte au printemps,
elle est l’Andalousie, elle est ce qui attend,
la migraine et la mère, un château comme un leurre,
la croix puis la bannière et l’avril des haleurs,
elle est devant nos yeux, se dissipe en allant,
vers ces fous merveilleux, saltimbanques d’antan,
elle est chemins de brume écorchant nos artères,
elle est tabac qui fume accrochant nos prières,
elle est ma Victoria et puis sûr ton Hélène,
tout ce que je n’ai pas, ce qui un jour s'amène,
dans les coeurs ou le ventre, à l’orée des mystères,
elle est peut-être l’antre où nos mains font la terre,
elle est dans la corolle, elle est dans la caverne,
elle est peut-être folle, elle est peut-être en berne,
elle est toute l’enfance et même dieu je crois,
elle est ce qui s’élance, elle est la pierre aux rois,
elle est dans l’amoureux, elle est dans son empire,
elle est ces gens heureux qui parfois font le pire,
elle a le mal du ciel qui fait les oiseaux morts,
la poche emplie de fiel pour les princes d’alors,
elle est là dans la boue, elle est dans le vitrail,
elle crie dans nos remous, flirte avec la mitraille,
elle a le geste éclair et le récif très tendre,
elle a la tête en l’air qui pourtant veut descendre,
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Triste pierre…
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Elle est sans un horaire, elle est sans le parti,
elle est dans la misère, elle est la sympathie,
elle est dessous les ponts, et l’amitié des nus,
elle a l’âme keupon, le sourire aux vaincus,
elle est la marche ou crève, et le rire au curé,
elle a le mot de grève, où tu peux te carrer,
elle oublie nos chaleurs mais revient en hiver,
elle incline nos peurs au dessus de nos vers,
couchée dans son linceul, elle a fait nos combats,
elle a fait toute seule un millénaire en bas,
si l’enfer l’a crachée, c’est pour nous embellir,
si la nuit l’a cachée, c’est pour mieux la chérir,
elle est la barricade et minuit sans les bords,
elle est l'espoir en rade où se tient l’hellébore,
le froid qui nous fait mal, un précipice ancré,
elle a la peau trop pâle ou l’accent de ma craie,
elle est de Birmanie, d’Irlande ou des Comores,
du feu de Colombie, ou de l’Iran encore,
elle a connu violence en des lieux impossibles,
rompu parfois sa lance en des draps indicibles,
c’est la lueur au creux de nos petites chambres,
ces astres si nombreux qui toujours font décembre,
elle est l’âtre au foyer, les braises qui attendent,
demain pour festoyer, demain que l’on s’entende,
elle est paume des fois, maladresse souvent,
elle aime bien parfois s’en aller dans le vent,
on la revoit en guerre, on la revoit en paix,
se dévoilant prière et peut-être drapée,
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Triste pierre…
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Elle est ce que j’ai dit et surtout sa rivière,
elle est la tragédie du fond de l’univers,
elle est ton élégance et le coin de ma rue,
elle est sans importance, elle est la disparue,
elle est dedans le songe, une phrase d'Ariane,
elle est comme un mensonge à mon être qui fane,
elle est toute la lune et son aura bleutée,
parsème une infortune en ce siècle ameuté,
elle est un pluriel cherchant sa singulière,
que ce myrrhe ou ce miel logeant au cimetière,
qu’une goutte de pluie faisant germer la fleur,
le chrysanthème enfui de ma dernière erreur,
elle est toute la route, et la vie et la fin,
elle est d’abord un doute à l’aurore chagrin,
quelques billets de foire, un simple carnaval,
elle est le verbe boire et l’enfant bicéphale,
elle est cette addition au sein du désœuvré,
et puis mon addiction au gré des simagrées,
elle est le puits sans fond qui échappe aux puissants,
visages qui nous font des tours de notre sang,
elle a l’espièglerie dans l’arène des nuits,
une supercherie qu’un diable a enfoui,
elle a compté mes jours, avec eux mes ivresses,
elle a fait d’un toujours l’opposé d’une liesse,
elle a brisé des clous d’une tenaille noire,
elle a fait de ce flou mon écrasant espoir,
elle a fait tout cela et même un peu la voie,
pour s’offrir à ceux-là qui la chassent sans voix.
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Suaire pour la pierre (Poésie)