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« L’Etat de droit, ça n’est pas intangible, ni sacré » a donc déclaré ledit chausse-pied. Devant le tollé que sa déclaration a soulevé au sein de son propre camp, il a dû rétropédaler pour lâcher qu’en fin de compte, à bien y réfléchir, « il ne peut pas y avoir de démocratie sans Etat de droit ».
Soit Bruno Retailleau ne sait pas ce qu’il dit. Dès lors, lui confier le ministère de l’Intérieur relève de la maltraitance collective. Il est vrai que dans l’état de médiocrité dans lequel la caste politicienne patauge, on ne saurait écarter d’emblée cette hypothèse…
Le message et le truchement
Soit, il a prononcé sa formule en parfaite connaissance de cause; explication la plus plausible. Tout d’abord, Retailleau n’a pas balancé son pavé vers n’importe quel marigot mais dans celui du JDD (Journal du Dimanche), hebdomadaire bolloréen tombé dans les mains de l’extrême-droite. Dès lors, pour capter l’attention de ce lectorat, rien de tel que de cracher sur les étrangers et les institutions qui protègent les droits humains. On fait dans l’antihumanisme primaire, chez ces gens-là.
En exprimant ce qui constitue sans doute le fond de sa pensée – un bien grand mot, certes! – le ministre avait un message de solidarité avec le lepénisme à faire passer. Il a donc bien choisi les mots idoines et le truchement utile.
L’art du rétropédalage
Evidemment, auprès de ce qui reste de droite démocratique, la sortie de Retailleau a suscité des réactions indignées, sincères ou non.
Pas grave! On rétropédale vite fait… Cela ne trompe personne, ni les autres membres du gouvernement ni l’extrême-droite. L’important, c’était le message initial. Le rétropédalage fait partie de la figure imposée du dérapage bien contrôlé.
Compte tenu de ces tristes circonstances, il paraît nécessaire de rappeler certains principes à la base de toute société qui se veut civilisée.
L’Etat de droit n’est pas une coquetterie pour intellectuel, ni un artifice d’avocat ni un joujou pour journaliste. Il recouvre la liberté de conscience, la liberté d’informer et d’être informé, la liberté d’aller et venir où bon nous semble; il garantit l’indépendance de la justice et l’impartialité de celles et ceux qui sont chargés de l’exercer. Il protège chacune, chacun, vous, moi, contre les abus des pouvoirs.
Le dernier garde-fou
Dès lors, opposer, comme l’a fait Retailleau, le peuple et l’Etat de droit relève de la démagogie la plus perverse. Lorsque ces propos sont proférés par le ministre chargé des forces de l’ordre, ils en deviennent insupportables. Normalement, le ministre de l’Intérieur aurait donc dû être expédié à l’extérieur… du gouvernement!
De tout temps, l’extrême-droite a cherché à dissocier peuple et Etat de droit. Parfois, les électeurs tombent dans le piège, votent pour les pourfendeurs de l’Etat de droit et finissent par regretter amèrement leur choix électoral. C’est ce qui s’est passé, notamment, en Allemagne, en 1933.
Ne pas oublier cette vérité née de l’Histoire: l’Etat de droit, c’est le dernier garde-fou quand le peuple a perdu la raison.
Jean-Noël Cuénod