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Elle était pauvre, juive et femme célibataire. Un tiercé fort mal vu dans le Paris de la Belle Epoque et de l’affaire Dreyfus. Ce qui, toutefois, n’a pas altéré l’énergie opiniâtre de Berthe Weill (1865-1951). Elle deviendra « la galeriste de l’avant-garde parisienne » comme le proclame le titre de l’expo du Musée de l’Orangerie (1).
Fille d’un chiffonnier du 1er arrondissement parisien et d’une mère de famille qui doit nourrir sept enfants, la jeune Berthe doit être placée en apprentissage auprès d’un antiquaire et expert en lithographies. A la mort de son patron en 1896, elle parvient à voler de ses propres ailes, non sans difficulté. Elle ouvre sa galerie en 1901 et surnage en vendant des lithographies et des affiches en même temps que les tableaux de jeunes inconnus.
Se fiant à une intuition fort bonne conseillère, elle va lancer un nombre impressionnant d’artistes. Certains seront appelés à la gloire. D’autres, seront classés comme « petits maîtres » par le système médiatique parisien toujours prompt, pour assurer son confort intellectuel, à placer les artistes dans les cases étriquées d’une hiérarchie de bazar.
La « Christophe Colomb » de Picasso
Sa surface financière ne lui permet pas de suivre ses artistes les plus renommés lorsque leur cote commence à grimper. Ainsi, Picasso sera-t-il rapidement capté par le grand marchand d’art Ambroise Vollard.
La galeriste n’a jamais cherché à faire fortune. Les artistes ne payent pas l’accrochage, Berthe Weill ne les enferme pas dans des contrats d’exclusivité et ne prend qu’un modeste pourcentage sur la vente des œuvres. Parfois, elle achète même les toiles de certains peintres valeureux mais mal vendus.
« Notre-Dame des Fauves »
Celle que les critiques appellent parfois « Notre Dame des Fauves » (2) entoure nombre de ses artistes – ils seront 400 à passer par sa galerie – de soins maternels. D’où le qualificatif de « petite Mère Weill » lancé par l’un de ses protégés, Raoul Dufy.
Berthe Weill tiendra sa galerie pendant plus de trente ans avant que l’occupation nazie ne la fasse fermer. Privée de toutes ressources, la galeriste vit cette époque dans l’angoisse et la misère. Pour la sortir de la pauvreté, plusieurs de ses anciens artistes organisent en 1946 une grande vente aux enchères dont le produit permettra à la galeriste de vivre décemment jusqu’à sa mort en 1951, à l’âge de 86 ans.
N’extraire de cette expo riche et vibrante que quelques illustrations est un exercice aussi arbitraire que frustrant. C’est donc avec une sourde mauvaise conscience que nous allons nous y livrer.
Nous avons capté ses illustrations sur le site d’un excellent blogue: « Le Blog de Michel » (voir son article consacré à l’expo).
« La Mère » universelle
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Ce tableau de Picasso a été peint en 1901, année au cours de laquelle Berthe Weill ouvre sa galerie. Dans ce tableau, Picasso a estompé les traits du visage de « La Mère ». Sans doute représente-t-elle les mères de toutes les époques et de tous les pays. Elle préfigure celles qui porteront, en même temps que leurs enfants, la misère qu’engendrera ce siècle de sang qui n’en est alors qu’à son aube.
Femmes peintres sous les radars médiatiques
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A l’instar des écrivaines ( du moins dans la sphère francophone), des scientifiques, des compositrices, les artistes peintres au féminin ont le plus souvent passé sous les misogynes radars de la renommée durable, à part quelques exceptions comme Elisabeth Vigée-Lebrun, Berthe Morisot ou Suzanne Valadon.
Berthe Weill n’a pas ménagé ses forces pour tenter de réparer cette injustice, aussi l’expo de l’Orangerie a-t-elle réservée une large place aux femmes peintres.
Parmi elles, Emilie Charmy, proche amie de la galeriste. Jusqu’à la mort de Berthe Weill, l’artiste n’a cessé de la soutenir durant les nombreux moments difficiles traversés par la galerie.
Aujourd’hui bien oubliée, Emilie Charmy a connu une belle notoriété dans les années 1920-1930 dans le contexte de l’Ecole de Paris et des Fauves.
Dans ses deux autoportraits, l’artiste ne s’encombre pas d’anecdotes chichiteuses: elle va à l’essentiel. Dans l’un, elle illustre en quelques traits son caractère que l’on devine altier, voire dominateur. Dans l’autre, la voilà se reposant comme une chatte satisfaite de son sort.
Le cirque de la justice
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Accrochage ironique dans cette expo, que n’aurait nullement désavoué Berthe Weill qui savait parfois se livrer à l’espièglerie. L’un à côté de l’autre, deux tableaux peints à la même époque par Raoul de Mathan: « La Cour d’assises » (1908) et « Le Cirque » (1909).
Dans le premier, les visages ne sont guère reconnaissables et apparaissent parfois tête baissée. C’est la machine anonyme de la justice qui se donne en spectacle.
Dans le second, au contraire, les visages rigolards sont plus visibles. Ce qui les relie? Une certaine tension qui court chez l’un et chez l’autre puis de l’un à l’autre. La peur de la chute, sans doute…
« La Vierge attentive »
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Pour le Plouc, c’est la révélation de cette exposition: « La Vierge attentive » (appelé aussi « La Vierge à l’étoile ») de Louis Cattiaux. Peinte en 1939, cette vierge est attentive à l’horreur qui se prépare. Ses mains coupées et son regard vide témoignent de l’impuissance céleste devant le mal terrestre. Né de son ombre, le spectre de la mort est prêt à prendre les devants. Quant à l’étoile, elle est tombée bien bas. Bientôt, elle sera écrasée par les bottes.
« La petite Mère Weil »l n’a pas cessé de nous donner à voir et à songer.
Jean-Noël Cuénod
1 Cette remise en lumière est due à un impressionnant travail en amont de Marianne le Morvan, co-commissaire de l’expo avec Sophie Eloy.
2 Mouvement pictural au début du XXe siècle qui met en valeur les couleurs souvent vives plus que les formes. Matisse, Derain et de Vlaminck figurent parmi les artistes « fauves ».
Pratico-Pratique
« Berthe Weill-Galeriste de l’avant-garde parisienne ». Jusqu’au 26 janvier 2026 au Musée de l’Orangerie (Jardin des Tuileries, côté Seine, place de la Concorde, 75001 Paris). Tous les détails sur ce lien.