
Rien n’est plus révoltant que les abus dont les enfants sont victimes au sein du cocon familial, car ils les subissent en restant incarcérés dans le silence. Comment crier sa douleur quand celui qui vous l’inflige est votre dieu protecteur, celui de qui vous dépendez corps et âme ? Qui vous croira ? Personne. Vous serez aussitôt catalogué comme un sale petit menteur. Le pervers ? Mais c’est vous qui dénoncez l’indénonçable !
Plaies ouvertes
Alors autant souffrir sans mot dire et sans maudire, se ménager une évasion par l’esprit lorsque le corps est pris en mains adultes. Mais les plaies resteront vives et tous les rapports humains s’en trouveront bouleversés lorsque l’enfant-martyr entrera dans l’adulterie.
Les dénonciations qui actuellement crépitent répètent plus ou moins ce schéma. Compressées dans le chaudron clos des familles, les souffrances explosent aujourd’hui. Et la société se voit contrainte de scruter ces ombres jaillissantes sur lesquelles elle a détourné ses regards pendant trop longtemps.
Extinction du patriarcat
Le patriarcat était, naguère encore, tout puissant. Il est maintenant remis en cause par la diffusion croissante des valeurs que l’on disait féminines – la douceur, l’attention aux autres, le soin aux plus faibles, le sentiment de la justice – mais qui, en fait, représentent les plus nobles du patrimoine de l’humanité. Que ces dénonciations surgissent maintenant ne doit donc rien au hasard.
L’actuelle libération des paroles de victimes est donc salutaire. Néanmoins, comme toute activité humaine, elle peut dériver dans l’injustice.
Les Torquemada du cyberespace
En contemplant les torrents fangeux qui se déversent actuellement en prenant prétexte de ces accusations d’inceste, on est saisi de vertige. Le vertige du pilori. Sous couleurs de défendre la cause des victimes, les calomniateurs de la Toile s’en donnent à cœur triste. Joie noire d’expulser ses propres démons en prenant pour cible des notabilités dont la culpabilité n’est pas établie ou du moins pas encore établie.
Mais prôner la présomption d’innocence à ces Torquemada du cyberespace équivaut à évangéliser un volcan en fusion.
Le temps médiatique est devenu incompatible avec une saine, ferme et lucide administration de la justice.
Insaisissable soleil
La vérité est un soleil insaisissable mais la justice peut au moins lui donner un visage aux traits flous : la vérité judiciaire. Elle n’a pas la perfection de cette Vérité qui n’est pas de ce monde. Mais les humains peuvent au moins s’accorder à son propos pour élaborer des décisions conformes au bien commun. C’est notre justice. Par sa prudente pesée, à charge et à décharge des accusés, elle relève du marathon mais jamais du 100 mètres.
Ce n’est pas à la justice de se mettre au diapason des réseaux sociaux. Ceux-ci feraient bien, au contraire, d’accorder sur elle leurs violons grinçants. Sans doute est-ce beaucoup trop demander. Il est tellement jouissif, le vertige du pilori !
Jean-Noël Cuénod