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La voilà qui s’écrase sur le tapis, cette petite larme d’une émotion en contrebande. D’autres viennent la rejoindre discrètement. Agaçant goutte-à-goutte, énervant cortège lacrymal.
Il faut dire qu’en matière d’excitation à l’émotion collective les Français sont, avec les Anglais, d’insurpassables maîtres. A croire que seules les monarchies sont capables d’organiser de telles cérémonies qui associent le grandiose avec l’intime.
Merveilleux pays, quand même…
Et voilà, vu de drones, ce Paris étincelant dans la nuit, avec Notre-Dame qui surgit pour recouvrir sa ville de son ombre lumineuse. Cœur réduit en cendre que des milliers de mains expertes ont fait rebattre après cinq ans de soins attentifs. Merveilleux pays, quand même…
L’orgue réveillé par la liturgie envoie ses vibrations urbi et orbi et chacune, chacun en est traversé. Les chants, les concerts, les jeux de lumière entrelacent leur magie pour nous faire, non pas retomber, mais remonter en enfance, ce lieu que nous n’aurions jamais dû quitter. Un tel moment de partage nous permet de l’habiter à nouveau.
Au-dessus du brasier…
Cette cathédrale, j’y passais devant régulièrement, sans la voir. Ou alors, un regard jeté distraitement, comme ça, en passant. Un beau monument parmi tant d’autres dans cette ville incomparable.
Lorsqu’elle a brûlé, Notre-Dame a soudain pris vie. Elle était devenue mienne. Toutes les âmes qui ont bâti ses charpentes, ses murs, ses voûtes, qui se sont succédé au fil des siècles ont formé un vaste choeur au-dessus du brasier et des fumées âcres, un vaste choeur dont le chant a réveillé nos âmes d’aujourd’hui bien endormies.
Alors, merci à Paris, merci à la France pour cette fête pleine d’espoir. Vous m’avez octroyé un certain droit à l’émotion.
Mon remarquable confrère et compatriote Richard Wehrli a expliqué dans L’Express que « les Français croient encore que 2+2=6 ». Il n’a pas tort. Chez nous, en Suisse, dans nos quatre langues nationales, 2+2=4. Toujours. Pas d’exception.
Qu’il se trouve un coin de la planète où deux plus deux fassent rarement quatre, voilà qui me paraît plutôt réconfortant.
Jean-Noël Cuénod