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Billet de blog 18 novembre 2025

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Trump’s Deal: avec sa Rolex en or la Suisse bat la breloque

Un sextuor d’industriels suisses s’est vautré aux pieds d’Ubu-Trump pour le couvrir de cadeaux, dont une pendule de bureau en or de marque Rolex valant entre 20 000 et 40 000 francs. Après une dernière courbette dans le Bureau Ovale, ils ont clamé leur soulagement: les produits suisses seront taxés aux Etats-Unis à 15% et non à 39%. Mais le prix à payer met la Suisse en péril.

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Illustration 1
"Ah, c'est bientôt l'heure de bouffer mon petit suisse!" © Montredo

Il n’y a guère que les Français à juger la Suisse comme quantité négligeable. Malheureusement, ce n’est pas le cas  des Etats-Unis de Trump qui ne cessent d’exercer une pression intense sur l’économie suisse pour qu’elle serve enfin les intérêts étatsuniens tels que Trump les conçoit. Et voilà maintenant que la Suisse a cédé par l’entremise du groupe des six gros industriels, avec l’aval du conseiller fédéral chargé de l’économie, l’UDC Guy Parmelin.

La panique europhobe est mauvaise conseillère

Les europhobes national-conservateurs de l’UDC se sont donc arrogés les mérites politiques de cet accord entre Trump et la Confédération, via les représentants du capitalisme helvète.

Obnubilés par sa panique de voir la Suisse se rapprocher de l’Union Européenne, l’extrême-droite claironne que la Suisse est parvenue à être taxée par Washington au même taux – 15% – que l’Union européenne. Le ministre de l’Economie Guy Parmelin se pare donc de la couronne que lui ont tressée nos six lécheurs de babouche.

En fait, la Suisse s’est fait rouler par Trump dans les grandes largeurs. La panique europhobe est mauvaise conseillère.

Tout d’abord, au lieu d’attendre la décision de la Cour Suprême qui va se prononcer sur la légalité des droits de douane trumpiens, le Conseil fédéral a signé ventre à terre le diktat étatsunien. Or, les chances de voir ces droits supprimés ou au moins fortement amendés par les hauts juges ne sont pas minces. Mais l’accord entre la Suisse et Washington ne sera pas concerné par la décision de la Cour Suprême. Même si elle supprime ou modifie les taxes, le « deal » trumpien restera valable et la Suisse devra passer à la caisse avec ses 15%.

La Suisse ponctionnée de 200 milliards de dollars

Surtout, l’accord prévoit que les industries suisses devront se fendre de 200 milliards de dollars d'investissements directs aux États-Unis d’ici fin 2028 avec un « pizzo » (1) de 67 milliards déjà en 2026.

A titre de comparaison, les industries de l’Union Européenne devront déverser dans l’économie étatsunienne 600 milliards de dollars. Mais sans date précise contrairement à la Suisse qui doit s’exécuter subito.

Comme le souligne fort justement dans sa page FaceBook (que je recommande notamment concernant l’Ukraine) mon ancien collègue de la Tribune de Genève Philippe Souaille, la Suisse avec ses seuls neuf millions d’habitants déboursera donc 200 milliards alors qu’avec ses 450 millions de résidents, l’UE en versera 600 milliards: « Les Suisses sont certes plus riches que les Européens, mais pas douze fois plus riches! »

Vers une désindustrialisation de la Suisse?

Cela dit, l’accord reste imprécis sur ce point: les 150 milliards de dollars d’investissement promis par la pharma suisse aux Etats-Unis sont-il compris dans cette enveloppe de 200 milliards? Ou alors cette extorsion étatsunienne grimperait-elle à 350 milliards de dollars, ce qui constituerait plus de la moitié de celle commise au détriment de l’UE.

En ce cas, relève le conseiller national (député) genevois Vincent Maitre (Le Centre, ancien Parti Démocrate-Chrétien), « cela signifierait une désindustrialisation de la Suisse. Ces conséquences seront ressenties sur des décennies voire plus ».

Créer du chômage en Suisse pour l’éviter aux Etats-Unis

Le pire est encore à venir, hélas, comme le démontre la joie dont le ministre du commerce étatsunien, Jamieson Greer, a fait montre devant les caméras de CNBC:

« Nous sommes très enthousiaste à propos de cet accord et de ce qu’il signifie pour l’industrie manufacturière des Etats-Unis. »

Et le ministre de Trump d’énumérer quelques unes des mesures que la Suisse devra prendre :

– délocaliser une grande partie de sa production aux Etats-Unis. En d’autres termes, on risque de créer du chômage en Suisse pour que les Etats-Unis puissent l’éviter. Super accord, en effet!

Cela dit, notre sextuor de l’industrie helvète ne s’en soucie guère. Que leurs usines se trouvent aux Etats-Unis ou en Suisse ou sur Proxima du Centaure, ils percevront leurs profits.

Ce sont les salariés en Suisse qui trinqueront. Il faudra s’en souvenir lors des prochaines élections…

– Ces délocalisations s’exerceront dans des domaines où l’industrie suisse est forte: la pharma, la fonte de l’or et les équipements ferroviaires. Il y a donc bien une volonté étatsunienne de parachever sa vassalisation de la Suisse

– La Suisse s’engage à acheter davantage d’avions à Boeing ainsi qu’au complexe militaro-industriel étatsunien.

– Ouverture de contingents pour la viande de bœuf (500 tonnes), de bison (1000 tonnes) et de volailles en provenance des Etats-Unis.

Or, on sait les cochonneries chimiques que les Etatsuniens introduisent dans leur viande. Les Verts suisses ont aussitôt dénoncé « La possible importation, sans droits de douane, de viande aux hormones et de poulets chlorés ». Les paysans suisses se montrent aussi très inquiets. Parti à l’origine agrarien, l’UDC laissera-t-elle tomber les agriculteurs?

Risque pour l’indépendance nationale

Trump embarquera-t-il la Suisse dans sa politique agressive de sanctions contre les pays qu’il désigne à sa vindicte?

A ce propos, le « deal » trumpien contient une clause inquiétante dans la mesure où les participants à cet accord ont déclaré « leur intention de renforcer la coopération existante en matière de contrôle des exportations et de sanctions américaines ».

Le conseiller fédéral Guy Parmelin assure que « la Suisse n’est soumise à aucune obligation ». Les promesses rendent les fous joyeux comme l’on dit à Genève. En fait, c’est la politique traditionnelle de la neutralité qui risque de sombrer aux oubliettes. Et dire que les national-conservateurs en faisaient leur totem!

En comparaison à tous les boas trumpiens que la Confédération devra avaler, les taxes douanières à 39% paraissent soudain moins lourdes.

Une pétition lancée contre l’accord

A part l’UDC qui joue les ravis de la crèche trumpienne, les autres partis, même de droite ou du centre, sans parler de ceux de gauche, commencent à se poser des questions sur le « deal » trumpien présenté comme mirobolant par l’extrême-droite.

Parmelin tente de rassurer en expliquant que l’accord définitif dont encore être ratifié.

D’ailleurs, le Parti socialiste suisse monte actuellement au créneau en faisant circuler une pétition pour tenter de faire capoter l’accord et exiger de Parmelin qu’il présente en détails toutes les obligations imposées à la Suisse. En quelques heures, cette pétition a réuni 30.416 signatures (état à 10h07, mardi 18 novembre).

A quoi l’UDC joue-t-elle? Est-ce seulement par aveuglement europhobe qu’elle fait la promotion de cette soumission de la Suisse à l’ordre trumpien? Ou bien est-elle un simple rouage dans la mécanique d’extrême-droite qui tente de broyer les institutions démocratiques un peu partout dans le monde? Les deux?

En tout cas, les europhobes se voulaient les garants de l’indépendance suisse, ils risque fort d’en être les fossoyeurs.

Jean-Noël Cuénod

1 « Il pizzo », c’est la somme qu’exige la mafia en Italie pour protéger les commerçants. Oui, nous en sommes là…

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