Islamo-fascisme. Ce néologisme fait florès depuis que le premier ministre français Manuel Valls l’a utilisé dans l’une de ses interventions (voir la vidéo). Mercredi, son ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve l’a de nouveau remis en service pour qualifier les terroristes qui se réclament de l’islam. Sont visés en premier lieu, l’Etat islamique (Daech) et les groupes de type Al-Qaïda. Abus de langage ou expression brute d’une réalité ?
Essayons d’aborder froidement cette question brûlante. La difficulté d’utiliser aujourd’hui le mot «fascisme» tient au fait qu’il est né dans un contexte bien précis, celui de l’entre-deux-guerres en Italie et en Allemagne. Toutefois, le mot a bel et bien prospéré après la Deuxième guerre mondiale et encore actuellement, indiquant ainsi que ce qu’il qualifie n’est pas forcément enfermé dans les geôles du passé.
Il convient tout d’abord de rappeler les définitions, nombreuses, du mot «fascisme». Nous avons choisi celles-là sur la base de plusieurs auteurs (Gentile, Paxton).
Le fascisme :
- combat la démocratie, le libéralisme, l’individualisme ou le socialisme internationaliste en tant que mouvement d’émancipation réunissant les classes salariées au-delà des frontières ;
- exprime sa volonté de créer un parti unique rassemblant l’ensemble d’une population donnée sous une seule bannière et un seul chef ;
- défend une vision nationaliste ou exclusiviste de la politique ; la nation ou la communauté primant sur l’individu dont les droits sont subalternes par rapport à ceux de la communauté ou de l’Etat ; le groupe incarné par le chef prime sur toutes les libertés de l’individu;
- promeut la notion de «races» et établit entre elles une hiérarchie, les unes supérieures, les autres inférieures ; cette hiérarchie est intangible, les «races supérieures» ayant toujours la prééminence sur les «inférieures»;
- veut figer les rapports humains dans une vision passéiste, le passé étant vu comme un état idéal dont il convient de s’inspirer (la Rome antique pour Mussolini, les traditions germaniques et nordiques pour Hitler) ;
- appuie son action politique par l’usage de la force armée incarnée par une ou plusieurs milices armées dévouées au chef ; l’usage des instruments de la démocratie ne peut qu’être temporaire, dans le but unique d’arriver au pouvoir ;
- exalte la pulsion de mort (le cri de guerre des franquistes, «Viva la muerte», les insignes de la SS, la couleur noire de l’uniforme fasciste italien, la rhétorique usant de la fascination pour la mort).
Les principales entités du terrorisme se réclamant de l’islam obéissent-elles à toutes ou parties de ces définitions? Examinons-les, l’une après l’autre.
- Le fascisme combat la démocratie, le libéralisme, l’individualisme ou le socialisme internationaliste en tant que mouvement d’émancipation réunissant les classes salariées au-delà des frontières.
Tant dans leur pratique que dans leurs discours, l’Etat islamique ou les groupes Al-Qaïda démontrent qu’ils combattent toutes ces notions jugées «impies».
La première définition est remplie.
- Le fascisme exprime sa volonté de créer un parti unique rassemblant l’ensemble d’une population donnée sous une seule bannière et un seul chef.
Le propos de l’Etat islamique est clairement de ranger tout le monde musulman sous un seul drapeau, le sien, incarné par un chef, Abou Bakr al-Baghdadi.
La deuxième définition est remplie.
- Le fascisme défend une vision nationaliste ou exclusiviste de la politique ; la nation ou la communauté primant sur l’individu dont les droits sont subalternes par rapport à ceux de la communauté ou de l’Etat ; le groupe incarné par le chef prime sur toutes les libertés de l’individu.
Si l’Etat islamique et ses homologues ne partagent pas la vision nationaliste au sens où nous l’entendons en Occident, ils n’en défendent pas moins une vision exclusiviste de la politique prônant la primauté de la communauté musulmane, la Oumma, sur les droits de l’individu. En cela d’ailleurs, ils s’écartent du Coran qui, au chapitre II, sourate 256, prescrit : «nulle contrainte en religion». La liberté individuelle figure parmi leurs bêtes noires, à éradiquer en priorité.
La troisième définition est remplie.
- Le fascisme promeut la notion de «races» et établit entre elles une hiérarchie, les unes supérieures, les autres inférieures ; cette hiérarchie est intangible, les «races supérieures» ayant toujours la prééminence sur les «inférieures».
La notion de «race» défendue par le fascisme mussolinien et hitlérien est étrangère, non seulement à l’islam mais également aux groupes terroristes s’en réclamant. D’ailleurs, l’Etat islamique fait étalage de sa très grande diversité ethnique.
La quatrième définition n’est pas remplie.
- Le fascisme veut figer les rapports humains dans une vision passéiste, le passé étant vu comme un état idéal dont il convient de s’inspirer (la Rome antique pour Mussolini, les traditions germaniques et nordiques pour Hitler).
C’est le modèle des compagnons du prophète Mohammed que l’Etat islamique et les groupes homologues veulent imposer. Ils s’inscrivent donc dans cet état d’esprit.
La cinquième définition est remplie.
- Le fascisme appuie son action politique par l’usage de la force armée incarnée par une ou plusieurs milices armées dévouées au chef ; l’usage des instruments de la démocratie ne peut qu’être temporaire, dans le but unique d’arriver au pouvoir.
L’actualité démontre chaque jour à quel point l’Etat islamique et ses homologues utilisent la force armée pour s’imposer.
La sixième définition est remplie.
-Le fascisme exalte la pulsion de mort (le cri de guerre des franquistes, «Viva la muerte», les insignes de la SS, la couleur noire de l’uniforme fasciste italien, la rhétorique usant de la fascination pour la mort).
La glorification des «martyrs» et le recours aux attentats-suicides démontrent à quel point la pulsion de mort anime l’Etat islamique et ses homologues.
La septième définition est remplie.
Sur sept définitions du mot «fascisme», les terroristes se réclamant de l’islam, en satisfont (si l’on ose dire) six. Ce n’est pas du 100% mais c’est quand même beaucoup ! Dès lors, employer le terme «islamo-fascisme» n’est pas un abus de langage, même s’il ne saurait traduire à lui seul une réalité complexe.
Jean- Noël Cuénod
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