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Billet de blog 27 juillet 2019

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Greta Thunberg : Onfray odieux tout puissant !

Noircir ses cibles pour mieux prendre la lumière. Michel Onfray n’est ni le premier ni le dernier à user de ce système. Après Dieu et Freud, entre autres, il vient de prendre pour tête de Turc une Suédoise de 16 ans, Greta Thunberg qui a réussi là où des bataillons d’adultes avaient échoué: mobiliser des foules de tous pays pour s’opposer au dérèglement climatique.

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Michel Onfray : « Cette jeune fille arbore un visage de cyborg qui ignore l’émotion - ni sourire ni rire »

Contre l’adolescente, ce tout puissant médiacrate qui a son rond de serviette au Point, à France-Culture notamment, a sécrété sur son blogue un texte où l’odieux le dispute au navrant. Son contenu est disponible en entier ici. Vous y trouverez peu d’arguments et beaucoup de mépris.

Pamphlétaire bien plus que philosophe, il s’attaque tout d’abord au physique de Greta Thunberg pour lui ôter son humanité, voire même son corps qu’il transforme en «anticorps » :

Cette jeune fille arbore un visage de cyborg qui ignore l’émotion - ni sourire ni rire, ni étonnement ni stupéfaction, ni peine ni joie. Elle fait songer à ces poupées en silicone qui annoncent la fin de l’humain et l’avènement du posthumain. Elle a le visage, l’âge, le sexe et le corps d’un cyborg du troisième millénaire: son enveloppe est neutre. Elle est hélas ce vers quoi l’Homme va (…)

Que dit ce corps qui est un anticorps, cette chair qui n’a pas de matière, cette âme qui fait la grève de l’école, cette intelligence ventriloquée? Ce que les adultes de la bienpensance progressiste débitent depuis des décennies (…)

Et puis, le diable est dans les détails, ce cyborg neutre et pâle comme la mort, au visage tendu par les épingles du néant, signe parfois ses imprécations avec l’index et le majeur de chaque main, comme pour signifier des guillemets. Il n’y a que dans ces cas-là qu’elle semble encore humaine.

Onfray en père jésuite

« Cyborg neutre et pâle comme la mort, au visage tendu par les épingles du néant »…Dénier l’humanité dans son adversaire, c’est le transformer en ennemi, voire, au degré suivant, en parasite. Le truc est vieux comme les totalitarismes dont Onfray se prétend le pourfendeur. Continuant sur sa lancée, le pamphlétaire introduit de façon chafouine le handicap dont souffre Greta :

Les journalistes nous font savoir avec moult précaution, presque en s’excusant, qu’elle est autiste - il faut le dire, sans le dire, tout en le disant quand même. Dont acte. Je laisse cette information de côté.

« Je laisse cette information de côté »… Il n’empêche que je l’utilise et la publie dans le contexte d’un article particulièrement dépréciatif à l’égard de la jeune fille, comme pour rajouter une louche discrète sur son « anormalité ». Cet anticatholique sait se comporter en jésuite lorsque cela sert son propos.

Contrairement à ce qu’il affirme, le handicap de Greta Thunberg a été largement abordé dans les médias. L’adolescente s’en est d’ailleurs expliqué avec lucidité. Par ignorance ou mauvaise foi, Onfray a utilisé le mot « autiste » qui est un terme fourre-tout qui ne signifie pas grand-chose tant les formes de ce trouble sont nombreuses. Greta souffre en fait du syndrome d’Asperger qui ne connaît ni déficit intellectuel ni retard dans l’apprentissage du langage. A propos de la jeune Suédoise, l’essayiste Mahaut Herrmann explique fort clairement sa situation dans un blogue diffusé par HuffingtonPost (le contenu en entier est disponible ici) :  

Un enfant autiste passionné peut devenir rapidement un vrai rat de bibliothèque. Sa sensibilité à la cause qu’elle défend la pousse aussi à s’en emparer avec plus d’intensité que ce qu’on attendrait d’une jeune fille de seize ans.

Josef Schovanec, polyglotte, docteur en philosophie et en sciences sociales, de même que l’écrivain et mathématicien Daniel Tammet ont été diagnostiqués « syndrome d’Asperger ».

Dans l’optique tordue d’Onfray, Greta Thunberg n’est qu’une poupée « ventriloquée ». Par qui ? « La réponse se trouve probablement dans les dossiers du GIEC » écrit-il. Probablement ? Ah bon ? Où sont les preuves ? Cela dit, que la jeune fille s’inspire des travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat serait plutôt un gage de sérieux. En matière de climat, les avis des scientifiques sont tout de même plus éclairants que ceux d’un pamphlétaire ne connaissant la question que par ouï-dire.

Autre extrapolation hasardeuse fulminée par Michel Onfray : « Ce cyborg parle en faveur d’une révolution initiée par le capitalisme vert ». Or, le capitalisme n’est vert que dans ses slogans publicitaires, si l’on songe, par exemple, à la puissance des « lobbies » de l’industrie chimique qui sape toutes les tentatives des parlements pour interdire le glyphosate. Et si le capitalisme devait, par miracle, se mettre à verdir vraiment, qui pourrait s’en plaindre ? Si nous devions attendre l’avènement du socialisme libertaire souhaité par Onfray pour sauver la planète, l’humanité risquerait fort de passer par pertes et profits.

La rançon de l’infantilité des adultes

Ce qui dérange le plus l’ex-professeur Michel Onfray, c’est de se faire donner la leçon par une gamine :

(…) Un enfant qui fait la leçon aux adultes qui ne mouftent pas et jubilent même de recevoir des coups de leur progéniture, voilà sans conteste matière à conjecturer que nous entrons dans le stade suprême du nihilisme.

Lorsque les adultes font preuve d’infantilité en fonçant et klaxonnant vers le mur de la crise environnementale, en brûlant des radars routiers, en piquant une crise de nerf collective lorsque la vitesse limite passe de 90 à 80 km/h, en passant leur temps à des jeux débiles, en élisant des Trump, des Boris Johnson, des Bolsonaro, des Salvini et autres excités du tweet crétin, il ne faut pas s’étonner que les enfants prennent les responsabilités laissées à l’abandon par leurs parents.

Ce texte d’Onfray est d’autant plus insoutenable qu’il provient de l’auteur de livres marquants, notamment sa biographie de Camus (L'Ordre libertaire : La Vie philosophique d'Albert Camus, Flammarion). Elle restitue à ce grand philosophe toute la profondeur et l’actualité de sa pensée. Mais à force courir sus à la « bienpensance », Michel Onfray en vient à penser comme un pied.

Jean-Noël Cuénod

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