Cette supposition, assez bien ancrée dans les esprits humains, a pour origine le biais culturel de projection de notre infâme éthique de la compétition sur les autres populations d'êtres vivants...
Les abeilles dites "solitaires" et dites "sociales" (il y a toute une gradation de comportements pseudo-sociaux dans certaines espèces entre les deux comportements) se sont, bien évidemment, développés conjointement avec des capacités et stratégies complémentaires. Il suffit de se pencher sur la diversité de leurs aptitudes pour le comprendre.
Par exemple, une comparaison de comportements de butinage des différents pollinisateurs permet d'invalider cette hypothèse. Dans mon verger, où il y a quantité de colonies d'abeilles, les bourdons - Bombus - pullulent parce que je préserve leurs habitats et que surtout, ils sont sur les ressources bien avant les abeilles, car ils butinent à des températures beaucoup plus basses.
Je n'ai pas encore entendu les abeilles mellifères se plaindre de la "concurrence", somme toute "déloyale", de ces bourdons... Mais, je n'ai peut-être pas assez tendu l’oreille… ;-))
On peut aussi comparer les cycles de reproduction des insectes pollinisateurs qui sont très souvent bien décalés !
La cause de la tragédie commune à ses espèces, n’est pas du tout au niveau de leur supposée compétition, mais bien sûr, la destruction des ressources et des habitats. Et, là, c'est l’espèce humaine qui a les choses en main, qui contrôle, ravage ou restaure intelligemment.
Un apiculteur qui pose des ruches dans un territoire où les abeilles risquent de manquer de ressources, est un inconséquent. Je sais, il y en a beaucoup... C'est pourquoi, j'ai accepté d'écrire un énième livre pour l’apiculture : pour préciser les choses de ce point de vue, notamment.
Pour finir, il existe des études internationales, sur le sujet des interactions - leurs bénéfices et leurs risques - entre abeilles mellifères et autres pollinisateurs. C'est dommage de ne pas regarder de ce côté-là avant de poser des principes de départ délirants. Les études sur les pollinisateurs sont nécessaires ; des études de terrain avec un vrai regard naturaliste, empathique avec la vraie réalité des interactions entre espèces.
Nos points de vue de départ biaisés par notre culture sont trop éloignés des « logiques » du vivant qui sont beaucoup plus "participantes", même plus coopératives, qu'on ne le croit...
Devinez les conclusions de ces études ? Il n'y a pas de "concurrence", à la manière dont on l'entend. Rien n'est univoque dans la nature...
Exemple d’interactions positives :
Certaines espèces de pollinisateurs sauvages savent décrypter le "langage" des abeilles mellifères ; ce qui leur permet de connaitre où se trouve des ressources, sans avoir à prospecter elles-mêmes ; ou d'être averties de la présence des prédateurs... (C'est fou comme notre manque d'imagination, nous impose une vision étroite des interactions dans la nature...)
Exemple d’interactions négatives :
Quand des colonies d'abeilles mellifères sont mal traitées et donc mal en point, elles peuvent transmettre des maladies à certaines espèces de pollinisateurs. (L'inconséquence de l'élevage intensif va au-delà de ce qu'on peut imaginer, là aussi...)
Bien sûr, quand les ressources se font rares, tout le monde en pâti ; même si certains s'en sortent mieux pendant un temps seulement, car quand les chaines trophiques partent en lambeaux, toutes les espèces finissent par être impactées directement.
Pourquoi 60 % de la biodiversité a déjà foutu le camp ?!...
Chercher des relations de concurrence là-dedans, me parait hallucinant...
Mieux vaut s’atteler joyeusement à observer et à recenser les habitats, les ressources et les espèces, pour faire repartir l'ensemble des interactions !
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"Petit manuel d’apiculture douce en ruche Warré » Auteurs: Yves Robert et Aurélie Jeannette (photographie), éditions Terre Vivante dans la collection: Facile et Bio 2019. https://www.youtube.com/watch?v=MzSEKLyLuUU