Vendredi 11 juillet 2025, 5 heures du matin. Je viens de lire l’article cosigné du CVUH dans Libération. L’occasion est venue pour moi de signaler un projet de son et lumière téléguidé par l’extrême-droite, dans le Vaucluse, près de chez moi. Cela fait longtemps que le sujet m’intéresse, que la (re)montée de l’extrême-droite me fascine et m’inquiète, dans ce qu’elle charrie de fureur idéologique.
Je viens de terminer le dernier livre de Naomi Klein, Doppelganger. A Trip Into the Mirror World (Le Miroir, Actes Sud, 2024). Pour la première fois, j’y ai trouvé une tentative de compréhension profonde de ce que porte l’archipel des droites radicales : nationalistes, racistes, antisémites, catholiques traditionalistes, monarchistes… du très relooké RN à la Ligue du Sud, Reconquête, le trumpisme ou encore le poutinisme.
Selon Klein, l’extrême-droite génère un “monde miroir”, refuge contre les dures réalités contemporaines, accueillant les exclus de la culture savante, les bashés du web, les frustrés de la bien-pensance et de l’autocensure des pulsions les plus violentes. Dans ce monde, on singe même les codes de la culture progressiste : un récent cliché de l’AFP montre Trump levant le poing comme un révolutionnaire, repris dans La Provence du 13 juillet. On pourrait presque y voir le Che.

Lorsqu’on intègre cette grille de lecture, les signes de cette culture miroir deviennent frappants. Ils sont partout. Et cela révèle combien l’extrême-droite ne souhaite pas détruire la culture, mais la remplacer : substituer à une culture humaniste et universaliste une contre-culture autoritaire et identitaire, fondée sur des valeurs traditionnelles, chauvines, genrées, racialisées, religieuses, souvent contradictoires mais toujours excluantes.
Le cas des « Nuits Comtadines »
J’ai reçu il y a quelques mois un tract annonçant un grand spectacle son et lumière : Les Nuits Comtadines, à Mazan (Vaucluse), avec la caution de Franck Ferrand. Prévu initialement en 2025, l’événement est aujourd’hui reporté à 2026. Un responsable associatif local m’a confié que les organisateurs demandaient un engagement bénévole massif, y compris pour s’occuper de chevaux, ce qui posait des problèmes de sécurité. Et puis plusieurs associations ont dénoncé un projet trop politique.
Parmi les instigateurs figure Bertrand de La Chesnais, un général en retraite, ex-directeur de campagne d’Éric Zemmour et aujourd’hui candidat RN à la mairie de Carpentras. Un projet avait également été envisagé au château de Thézan à Saint-Didier, mais les négociations ont échoué, les propriétaires refusant l’impact sur les pelouses du jardin remarquable.
Le projet est pourtant bien vivant. Une bande dessinée historique vient d’être publiée : Comtat Venaissin T.1 – L’affrontement des royaumes, dédicacée dans la galerie commerciale d’Auchan Le Pontet. Elle semble poser les bases idéologiques du futur spectacle.

Soutiens & réseaux
Les soutiens de ce projet laissent peu de doute sur son orientation :
- Christian Richaud, patron du Weldom de Carpentras, soutien affiché du RN
- Via Caritatis, domaine viticole lié aux moines traditionalistes du Barroux
- Stella Domini, fonds de dotation finançant des structures anti-IVG
- AILED, association d’éducation à la “défense”
Infos complémentaires
*Le Rocher Mistral : le patrimoine devient propagande
Inauguré en 2021 à La Barben, près de Salon-de-Provence, le Rocher Mistral présente une histoire provençale héroïque et très orientée. Propriété de Vianney d’Alençon, également fondateur du “Puy du Fou auvergnat”, il glorifie monarchie, chrétienté et colonisation, au détriment d’une lecture républicaine et critique.
Une enquête de Basta! révèle que le parc réécrit l’histoire :
- les républicains deviennent les agresseurs,
- les Vendéens des martyrs chrétiens,
- les lois sociales ou environnementales sont ignorées.
Sources :
*Le Projet Périclès : manuel stratégique pour l’hégémonie culturelle
Le Projet Périclès, rédigé par Pierre-Édouard Stérin et révélé par L’Humanité en 2024, propose une feuille de route pour installer durablement l’extrême-droite au pouvoir. Il s’agit de conquérir l’hégémonie culturelle avant le pouvoir politique.
Le document préconise :
- la création d’écoles hors contrat,
- le financement d’initiatives culturelles orientées,
- le maillage médiatique et judiciaire,
- la construction d’une élite conservatrice.
Sources :
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DENIS LECAT
Qui suis-je ? Je travaille depuis plus de 30 ans dans le secteur culturel. Formation Lettres Modernes, théâtre, Master en projets culturels, diplôme d’exploitant de cinéma de La Fémis. J’ai dirigé des festivals, des cinémas, des lieux culturels, accompagné de nombreux projets. Recruté comme directeur des affaires culturelles de Carpentras en 2023, j’ai été licencié un an plus tard pour raisons budgétaires (!). J’ai depuis créé La Culturieuse, société de conseil culturel :
Profondément attaché à la laïcité, à l’humanisme et à la démocratie, je tente de documenter la lente installation d’une culture alternative autoritaire. Et j’espère que nous ne laisserons pas s’installer sans réagir ce grand remplacement culturel.