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Billet de blog 8 septembre 2022

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La viande un symbole de virilité au sein des sociétés occidentales ?

Les propos de Sandrine Rousseau qui stipulent que le barbecue et donc la consommation carnée est un symbole de virilité, ont vivement fait réagir nombres de plateaux radiophoniques et télévisés sans pourtant apporter de réels éclaircissements sur son affirmation. Ainsi, au sein de ce billet je tenterai d’analyser ses dires et d’y soustraire des réflexions.

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Quel est l'intérêt d’alerter sur l’idée que la consommation carnée est masculine ? En quoi est-elle une construction sociale ? L’alimentation a-t-elle un genre ? Répondre à ces interrogations suppose au préalable de rappeler le contexte, d’analyser les pratiques alimentaires du point de vue social et genrée. 

I Le contexte : la crise du vivant

On ne peut omettre le contexte climatique écologique et environnemental dans lequel la phrase de Sandrine Rousseau a été prononcée. Il paraît essentiel de rappeler que nous sommes dans la sixième extinction de masse,  c’est à dire que plus de 75% des êtres vivants peuplant cette planète sont voués à disparaître si nous ne faisons rien. Tel que le démontre Anthony David Barnosky écologiste, géologue et biologiste, au cours des 50 dernières années, nous avons perdu 50% de la faune et de la flore. Selon lui, le taux d’extinction des espèces est entre 10 et 100 fois supérieur à la normale. En ce sens, compte tenu de la diminution croissante des espèces animales et végétales qui peuplent notre monde, il paraît essentiel de réduire notre consommation d’animaux morts, qui se meurent déjà à cause des activités humaines diverses . 

Si la consommation de viande et la pratique du barbecue qui l’accompagne semblent être une pratique renforçant le zoécide (néologisme issue de la racine grec zoé signifiant la vie et du préfixe cide signifiant tuer, le zoécide est donc la vie qui est tuée) actuel, son impact environnemental n’est pas en reste. En effet, selon la FAO — Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’agriculture —  et tel que le relaye Fred Vargas dans son ouvrage l'humanité en péril « le méthane et le N2O émis par l’élevage totalisent 7,1 gigatonnes de CO2 ce qui correspond à 14,5% des émissions mondiales de gaz à effet de serre soit  un septième du problème total ». De plus, une des causes entraînant le réchauffement climatique due à l'élevage est la déforestation au travers de la nécessité pour les éleveurs.euses d’investir un espace afin de nourrir leurs bétails souvent au soja. Or, un arbre absorbe environ 25 kilos de CO2 par an, préserver les forêts paraît donc essentiel afin de rendre possible et plausible le futur de l’humanité.

En somme, l'intérêt premier de Sandrine Rousseau lorsqu’elle a mis l’accent sur la dimension constructiviste de la pratique du barbecue et par extension de la consommation carnée est celui d’alerter l’opinion publique sur la possibilité de déconstruction d’une telle pratique sociale et donc à terme d’une diminution des émissions de gaz à effets de serre. En effet, selon une étude publié dans Plos one datant de 2021, les pratiques alimentaires des hommes seraient 41% plus polluantes que celle des femmes à cause de leur consommation de viande plus
importante. « Men had 41% higher GHG emissions than women [...] meat was the dominant driver for explaining most of the differences between GHG emissions associated with the diets of men and women ». 

II L’alimentation un fait social 

Lévi Strauss — anthropologue et ethnologue du XX ème siècle — au sein de son ouvrage Mythologiques écrit :  “ la façon dont chacun mange est, de tous les comportements, celui que les hommes choisissent le plus volontiers pour affirmer leur originalité en face d’autrui”. En ce sens, les pratiques alimentaires occidentales sont davantage un acte de distinction par rapport à l’altérité qu’un acte trivial, ordinaire dénué de toute signification sociale. Autrement dit, l’aliment est communicatif non pas par sa nature mais par son usage, il est une fonction avant d'être une substance de par la production langagière et représentative qui s’y meut. Roland Barthes — philosophe et sémiologue français — corrobore l’idée selon laquelle la consommation alimentaire est une pratique sociale en écrivant “l’alimentation est un fait social total”. Autrement dit, — si l’on prend le fait social au sens Durkheimien — ce que l’on mange est une manière de faire, une pratique sociale qui est susceptible “d’exercer sur l’individu une contrainte extérieure”. En outre, je mange ce que je veux être. Je consomme à l’image de la personne à laquelle j’aspire. En ce sens, l’aliment est davantage un apport symbolique qu’un simple apport nutritif au sein des sociétés occidentales. Tel que l’affirmait Jean-Anthelme Brillat Savarin “dis-moi ce que tu manges et je te dirais qui tu es”. 

En somme, les pratiques alimentaires sont un marqueur identitaire, une construction sociale qui répond aux diverses attentes relatives au statut de l’individu : classe sociale, sexe, âge, genre, etc...

III L’alimentation carnée différentielle

Dès 1979 Pierre Bourdieu au sein de son ouvrage La distinction écrivait “la viande nourriture nourrissante par excellence, forte et donnant la force de la vigueur, du sang, de la santé, est le plat des hommes, qui en prennent deux fois, tandis que les femmes se servent une petite part”. Cette analyse entre en résonance avec une étude de l'ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) datant de 2017 mettant en évidence que les hommes en France mangent près de deux fois plus de viande (hors volaille) que les femmes . Cependant, cette consommation carnée différentielle n’est pas une pratique sociale nouvelle. Dès le 19ème siècle — plus précisément en 1863 — le docteur Edward Smith — faisant une enquête nationale sur les habitudes alimentaires des Britanniques —  a révélé que la quantité de viande consommée était la différence majeure des habitudes alimentaires entre les genres. Une des causes concernant cette consommation carnée différentielle est la crainte pour les hommes cherchant à se construire en tant que "véritable homme" d'être émasculinisés et donc d'être discrédité aux yeux de la société. En ce sens, Carol Adams au sein de La politique sexuelle de la viande,  livre publié en 1980 dans la version originale écrit “les hommes qui décident de s’abstenir de viande sont efféminés, la non consommation de chair de la part d’hommes proclame leur absence de masculinité". 

En Conclusion, prendre connaissance et conscience que la consommation de viande est symboliquement associée  à la virilité est salvateur, compte tenu de sa dimension construite et non naturelle qui nous permet de faire naître en nous l'espoir d'une possible déconstruction d'un point de vue de la performance du genre. Autrement dit, déconstruire l'injonction à la nécessité d'une consommation de viande dédiée à la performance de la virilité — issue du système de domination masculin — est un levier d'action afin de construire une société plus harmonieuse, plus égalitaire, et possible entre les êtres vivants qui peuplent ce monde.

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