Le Lion et le Rat-à-cinq-têtes
D'une République ancienne et fatiguée,
À un jeune lion on offrit le palais.
Désigné, l'animal fut alors couronné.
Ce jouvenceau trônait ; une cour l'entourait
Flatteuse, comme il sied à une Majesté.
Les courtisans ployaient de louanges lestés.
Enjôleur, tous les jours, gringottait un ministre.
« Jamais on ne vit tant de science en un esprit ! »
Disait un bouc chenu, jouant flûtes et sistre.
« Je l'aime ! » disait-il pour que le Roi l'apprît.
Tout le gouvernement était à son image.
Et le jeune lion se croyait bel et sage.
Si quelques chats pelés siégeaient à sa droite,
C'était pour mieux piller la nation des souris :
Une petite gent à la richesse étroite
Qui voulait plus de soins, être mieux nourrie.
« Il est temps » répétait l'ordre trotte-menu
« De nous montrer plus forts, face au roi malvenu !
Un tyran n'aurait pas dérobé plus nos grains
Ni n'aurait plus souvent ses propres lois enfreint ! »
La souveraineté leur semblait si facile
À conquérir : il ne restait qu'à être habile.
Toutes voulaient gagner, ensemble, un même Éden,
Un pays de cocagne où la vie est sereine.
Puis on se demanda qui serait candidat.
« Moi ! » tonna une voix, sans nul autre débat.
C'était le Roi-de-Rats, au quintuple gosier
Ses cinq têtes étaient par ses cinq queues reliées.
On voyait côtoyer Mélas aux tempes grises,
Eaux-de-Jade, Tobie de poésie éprise,
Sel-Roux auparavant appelé « Patte-Rouge »
Et enfin Fière-Algo, longtemps cheffe d'un bouge.
« Quatre têtes de trop ! » hurlaient-ils de concert.
On n'entendait que « Moi ! » en cris de ralliement.
Sans cesse leur combat fut de se mettre à terre,
Oubliant leurs projets, leurs idéaux, les gens.
Et chacun de tirer sur sa queue et de mordre
Son prochain : le Rat-Roi régnait sur son désordre.
Quelques souris riaient, beaucoup le déploraient.
Quant au Lionceau, ce charivari l'amusait :
Ainsi l'adversité se présentait à lui
Sous l'aspect de bouffons qui trompaient son ennui.
Puis, lassé, il écrasa d'un coup les saltimbanques :
« Je me dois à mes loups, plus encore à mes banques. »
Moralité :
Quand on veut à son peuple profiter,
Ses voisins ne sont pas à attaquer.
