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Billet de blog 5 mars 2025

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Fascisation du monde, Internationale déifuroriste : suite et fin de l'Europe ?

Des évangélistes américains aux talibans, en passant par les ayatollahs iraniens, les hindouistes de Modi, les extrémistes juifs de Netanyahou et les ultranationalistes poutiniens de l'Église orthodoxe russe, la religion, en tant que système communautariste identitaire, appuyée avant tout sur des rites superstitieux aux visées aliénantes, est devenue un moteur central de l'histoire du XXIe siècle.

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Des évangélistes américains aux talibans, en passant par les ayatollahs iraniens, les hindouistes de Modi, les extrémistes juifs de Netanyahou et les ultranationalistes poutiniens de l'Église orthodoxe russe, la religion, en tant que système communautariste identitaire, appuyée avant tout sur des rites superstitieux aux visées aliénantes, est devenue un moteur central de l'histoire du XXIe siècle.
Il faut dire que ces formes de croyance ont idéalement rencontré un système socio-économique non seulement parfaitement adapté à leur développement, mais aussi pleinement disposé à mettre ses ressources à leur disposition.

Déifurorisme et néolibéralisme

Le néolibéralisme financier mondialisé s'appuie d'une part sur la destruction, au nom du profit, de toute régulation rationnelle destinée à l'encadrer et à l'encastrer dans des sociétés qui avaient pourtant parié sur la rationalité de peuples éclairés, organisés démocratiquement, et d'autre part sur le contrôle des esprits via un développement effréné des techniques médiatiques, où le temps de cerveau disponible est mécaniquement mis à disposition de la surconsommation, sous couvert de divertissement. Ce système permet une destruction efficace des civilisations travaillant à l'émancipation de leurs peuples. Quelle société pourrait encore dédier une partie suffisante de ses efforts, de ses ressources, de ses richesses, à l'émergence de nouvelles générations à la fois éclairées et sensibles aux biens communs, convaincues d'être à la fois héritières d'un passé à questionner et testatrices d'un avenir aux multiples possibilités, si elle se trouve acculée aux addictions de la consommation sidérante et ostentatoire, du hic et nunc de jouissances d'autant plus indispensables à renouveler qu'elles sont pauvres et insatisfaisantes ?
Dans ce contexte, les cadres et réflexes multimillénaires de la pensée magico-religieuse trouvent un terrain idéal, tels la bactérie sur un corps épuisé et au système immunitaire dépassé. Ce que je propose d'appeler le « déifurorisme », à savoir l'idéologie des Fous de Dieu, est la mise en pensée de ces pulsions destructrices, appuyées sur les religions souvent monothéistes, mais pas seulement (cf. Modi en Inde). C'est un alignement quasi parfait, à l'échelle mondiale, des mouvements religieux anti-démocratiques, contre les droits humains, évidemment contre la laïcité et la raison. Le succès du déifurorisme relève de plusieurs facteurs, où l'Europe a eu un rôle essentiel à jouer, mais où elle n'a plus aujourd'hui la main.
L'obscurantisme est devenu l'enjeu essentiel, la question centrale des hommes de pouvoir, que ce pouvoir soit politique, économique ou culturel. L'abrutissement généralisé permet l'anesthésie morale et le reflux des valeurs et principes qui fondent l'humanité : l'altruisme (comme capacité à aller au-delà de sa personne au nom de valeurs supérieurs), la curiosité (qui fonde à la fois l'esprit scientifique et la découverte de l'Autre), la solidarité (qui permet de faire société inclusive, y compris des plus fragiles), la liberté (expression contrôlée des pulsions de chaque individu), la reconnaissance (dans les deux sens : reconnaissance de l'Autre, reconnaissance comme remerciement) et la mémoire collective (qui permet, dans la société, d'accumuler les savoirs et de progresser), entre autres. Cultiver le repli identitaire sur des critères irrationnels pour mieux manipuler les coreligionnaires, nationalistes, racialisés (nations et races étant d'autres formes de superstitions à caractères religieux) et autres groupes destinés à l'auto-reconnaissance de celles et ceux à inclure tout comme à définir les gens désignés comme hors-normes, à exclure : voilà ce qui est devenu le moteur de l'histoire dans le monde actuel.
La magie du verbe performatif est devenue une grille pour le discours politique, rejoignant ainsi celle du religieux. C'est pourquoi on ne s'étonne pas de retrouver des modes d'action identiques : culte du spectaculaire, réduction de la langue à des incantations, répétitions rituelles de slogans et de gestes. La raison, la laïcité, le doute méthodique, la retenue... sont des attitudes et des dispositions d'esprit qui demandent un effort sur ces pulsions, du temps pour soi-même, et une résignation à l'inconnu – mais un inconnu qui en retour motive la curiosité et la science. Bref, un effort qui humanise l'Homme. Le succès actuel des fous de Dieu s'inscrit dans un processus d'abolition des modes de pensée, de savoir-vivre et d'être-au-monde qui ont demandé des siècles d'effort, avec des résultats toujours fragiles, mais qui furent cependant sauvegardés par suffisamment d'individus, au hasard de l'Histoire, pour finalement faire civilisation. C'est ce qui s'écroule sous nos yeux. Et comme tout écroulement dans un monde de spectacle, nous restons bouche bée, comme on nous l'a appris, nous restons fascinés, immobilisés de stupeur, ce qui ne fait qu'accroître et amplifier le processus.

La guerre qui vient

Nous vivons une époque d'accélération de la disparition de la civilisation européenne, une longue période qui commença symboliquement avec l'assassinat de Jaurès, mais que la première Guerre mondiale a concrétisée. La civilisation européenne est un moment de l'humanité riche de splendeurs aussi puissantes que les horreurs dont elle a été capable et qui s'est réalisé dans l'hubris de ses valeurs. Elle fut un débordement constant de son énergie, où l'universalisme (katholicos) a servi de justification à ses actions, quand la frénésie technologique était mise au service d’une économie de l'addiction (la course aux épices, puis au sucre, au café, au cacao...) et des profits financiers. Géniale par la création de valeurs et de savoir-faire, l'Europe a aussi inventé la surexploitation de ses environnements, via l'extractivisme pour les ressources naturelles et l'esclavagisme pour les ressources humaines.
Mais aujourd'hui l'Europe meurt par retours de ses propres débordements. Ces retours s'expriment dans la folie états-unienne qui est l'écume de l'Europe, sa part adolescente, une écume transformée en nouvelle civilisation, dont l'idéologie est représentée de façon tellement caricaturale avec la philosophie puérile d'Ayn Rand. Aujourd'hui, un président catcheur, aidé et supporté par les Évangélistes d'extrême-droite, à la tête d'une société à la mentalité de cow-boys, précipite le déclin de son pays tout en niant la possibilité d'une survie de l'Europe (qui a perdu toute crédibilité, dans tous les sens du terme). De l'autre côté, la Russie qui a cultivé la violence sociétale depuis les prisons tsaristes jusqu'aux camps du goulag, elle aussi en déclin, compte bien emporter une Europe qui l'a toujours autant fascinée qu’écœurée. Nous assistons à ce qui n'avait jamais été imaginé par les Européens : la deuxième fin de la Guerre froide, trente-cinq ans après la première. Mais cette fois-ci, c'est la Russie qui gagne, en réussissant ce que les États-Unis n'avaient pas su faire : faire entrer son adversaire américain dans son camp. La fascisation du monde est à la fois la grande réussite des pensées obsidionales paranoïaques (caractéristique du poutinisme), des peurs paniques infantiles de l'effondrement (caractéristique du trumpisme), d'un retour de flamme des colonisations européennes (caractéristique de l'Inde de Modi, de la Chine de Xi), de la volonté de peuples renonçant au principe de réalité (caractéristique des extrême-droite européennes). L’Europe a inventé le fascisme, processus mêlant l'infantilisation des esprits (avec le renoncement au sur-moi qui protège des délires) et la force brute de l'économie industrielle appuyée sur celle de l’État. Ce fascisme a envahi le monde, et il nous revient avec la puissance d'un tsunami, rendant possible la fin de notre civilisation, et ce avec d'autant plus d'efficacité que dans nos pays européens les extrêmes droites, fidèles à leur mission, sont les premières à collaborer avec tout ce qui pourra accélérer le désastre.

Les questions urgentes aujourd'hui, outre celle du modèle (toujours à trouver) pour échapper à l’accélération de l'entropie planétaire portée par l'économie mondiale, sont celles de notre survie civilisationnelle et des valeurs que cela représente : est-elle encore possible  ? Avec quelle énergie et avec quelles dispositifs politiques, culturels, économiques mais aussi militaires et spirituels ? Avec quelles femmes, quels hommes politiques suffisamment intelligents, audacieux et bien informés ? Avec quels alliés en-dehors de l'Europe ? Avec quels modèles de reconstruction après une hypothétique victoire de l'Europe ?

Autant de questions qui devraient nous mobiliser tous, avec, je le répète, celles qui concernent l’habitabilité à long terme de notre planète. Nous sommes typiquement dans une crise, un moment de suspens où le patient (l'Europe démocratique) peut guérir ou périr. À coup sûr, la guérison ne se fera pas sans de profonds retours sur ce qui a provoqué la maladie : la connaissance du monde mise au service de la cupidité pensée comme une valeur positive.

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