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Billet de blog 9 avril 2023

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« Les enseignants ne sont pas le fer de lance de la contestation » : quelle erreur !

En réaction à la déclaration du ministre Pap N'Diaye, mes collègues et moi avons décidé de lui envoyer cette réponse. Nous attendons de nos autorités de tutelle la prise en compte d'une histoire de nos professions depuis trop longtemps abîmées. Or, nous constatons des prises de décisions idéologiques violentes, où quelques mesures de façade n'arrivent pas à cacher la brutalité renouvelée d'un État qui renonce à ses missions fondamentales. 

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Monsieur le Ministre,

Vous avez déclaré le 4 avril dernier, sur la chaîne Public Sénat, que « les enseignants n'étaient pas le fer de lance » de la contestation actuelle contre la réforme des retraites, réforme que vous soutenez, solidaire du gouvernement de Mme Borne. Toujours selon vous, nous aurions fait nos calculs, qui nous auraient amenés à prendre conscience que cette réforme aurait des conséquences "relativement gérables".

Vous avez donc acquis le pouvoir de sonder les âmes et les cœurs, à distance. Vous sauriez donc ce qui motive les enseignants par la grâce d'une perception extrasensorielle. Toutefois, votre formation scientifique et universitaire n'aurait-elle pas dû vous pousser à plus de méfiance ? Les historiens s'appuient sur des documents, qu'ils comparent, recoupent et critiquent. Une méthodologie que vous semblez avoir trop rapidement abandonnée, au profit des dérives politiciennes. Ces dérives qui obstruent le jugement au point d'aligner les esprits sur quelques éléments de langage.

Nous vous invitons à découvrir la méthode de comptage des grévistes : tout est fait pour minorer les chiffres officiels, en oubliant les spécificités des emplois du temps d’un enseignant dans le secondaire.

Il nous a donc semblé nécessaire de témoigner de ce que nous vivons. Nous faisons un métier qui consiste à former de jeunes citoyens à l'esprit critique, en les armant de savoirs, de savoir-être, de savoir-faire divers et variés. Face à cela, ils vivent dans une société qui favorise la compétition, la concurrence, le paraître, la consommation, des espoirs fallacieux de richesses matérielles. Ce sont des combats inégaux ; nos forces, fussent-elles les mieux formées, sont destinées à remplir le tonneau des Danaïdes.

Dans ce contexte, nous attendons de nos autorités de tutelle, et avant tout de vous, Monsieur le Ministre, non seulement de réelles écoutes qui nourriraient une réflexion politique axée sur le concret, mais aussi la prise en compte d'une histoire (cela ne vous parle-t-il pas ?) de nos professions depuis trop longtemps abîmées.

Au lieu de cela, nous constatons des prises de décisions idéologiques violentes, encore, où quelques mesures de façade n'arrivent pas à cacher la brutalité renouvelée d'un État qui renonce peu à peu, mais sûrement, à ses missions fondamentales : les fermetures de classes au nom d'une baisse démographique, alors que c'eût été l'occasion de redistribuer les efforts vers les populations les plus en difficulté ; des augmentations de salaires promises qui couvrent à peine l'inflation de l'année écoulée ; ces augmentations étant en plus pour une grande part conditionnée à un travail supplémentaire (le « Pacte » - comme dans Faust ?) rémunéré en-dessous du barème des heures supplémentaire (un élève de collège moyen comprend tout de suite que travailler plus pour gagner plus est une arnaque intellectuelle, où aucune réelle augmentation de salaire n'est effective) ; et pour couronner le tout, la Première Ministre nous demande de travailler plus longtemps, de renoncer à des conquêtes sociales fondamentales, tout cela dans le cadre de prises de décisions législatives hautement contestables où le formalisme constitutionnel a remplacé l'esprit des Lois démocratique.

Et c'est alors que vous prétendez savoir, en notre nom, que nous aurions compris tout le bien que nous veut l'actuel gouvernement ? Mais Monsieur le Ministre, que peut-il sortir, in fine, d'un mélange de dégoût, de fatigue, de sentiments de trahison ? Vous vous étonnez encore du manque de candidats aux concours de l’Éducation nationale, mais c'est là la première réponse d'une société qui a compris que son État ne souhaite plus prendre en charge aussi sérieusement qu'il le faudrait l'éducation de ses enfants. Vous ne nous avez pas assez vus dans la rue : mais c'est de l'épuisement, c'est aussi le signe de la pauvreté financière dans laquelle beaucoup d'entre nous se trouvent enferrés. Ne vous réjouissez pas trop vite, Monsieur le Ministre, car cette belle administration que vous dirigez est devenue tellement fragile que c'est peut-être sous votre autorité qu'elle s'effondrera. Et pour le coup, le nom de Pap N'Diaye ne sera pas dans les livres d’histoire seulement celui d'un auteur, mais aussi celui d'un acteur politique qui aura refermé l'histoire biséculaire d'une éducation qu'on voulait nationale.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de notre considération respectueuse.

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