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Billet de blog 9 juillet 2025

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Un collège public, c'est à "gérer comme une entreprise" ?

En réponse à une intervention lors d'un Conseil d'administration, j'ai proposé le texte ci-dessous à mes collègues, dont une majorité a accepté de le signer. Faut-il vraiment gérer un collège public comme une entreprise ?

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À l'attention du Conseil d'Administration, juin 2025
Collège *********
Objet : Réflexion sur l'utilisation d'un vocabulaire managérial dans le cadre de l'Éducation Nationale
Madame, Monsieur,
Lors du dernier Conseil d'Administration avant les vacances de printemps, l'agent comptable a évoqué la nécessité de "gérer le collège comme une entreprise" en raison des difficultés budgétaires actuelles. Bien que cette expression puisse sembler anodine, elle nous a inquiétés et elle mérite une réflexion approfondie. Nous souhaiterions exprimer certains arguments à ce sujet.
1. Finalité et nature de notre institution : Une entreprise est une entité privée dont l'objectif principal est de créer des profits, plus ou moins à court terme. En revanche, un collège public a pour mission de produire des richesses inestimables telles que le savoir, le savoir-faire et le savoir-être, qui ne peuvent être quantifiées dans un simple tableau budgétaire. La réalité de l'éducation ne peut se réduire à un tableau excel.
2. Contexte économique : Une entreprise évolue dans une économie de marché et est soumise à la concurrence. Un collège public, quant à lui, ne se trouve pas dans une situation de concurrence et sa valeur sociale et sociétale ne peut être évaluée en termes de satisfaction client ou d'attentes d'actionnaires. Une entreprise a la capacité d'ajuster ses effectifs en fonction de ses besoins financiers. Un collège public ne dispose pas de cette flexibilité, notamment par le licenciement de fonctionnaires d'État ou territoriaux, sans parler des élèves... Faut-il rappeler que, au contraire, les collèges publics jouent un rôle crucial dans l'intégration sociale et la réduction des inégalités sur leur territoire ? Une approche managériale pourrait négliger ces aspects en faveur d'objectifs purement financiers et finalement provoquer un coût plus important pour la collectivité.
3. Décisions nationales et souveraineté : Les décisions nationales, notamment budgétaires, sont prises au nom de la souveraineté du peuple, qui a démocratiquement choisi les grands axes de la politique de son pays. Les impacts sur la qualité de l'Éducation nationale ne peuvent être moralement pris en charge par le Conseil d'administration d'un collège public. Il ne nous revient pas, à nous représentants des personnels élus dans l'intérêt du meilleur fonctionnement du collège, d'assumer au bout du compte d'éventuelles maladresses dans la répartition nationale des richesses.
4. Modèle entrepreneurial vs valeurs éducatives : Le vocabulaire entrepreneurial tel que "plus-value", "compétition" et "adaptation au marché de l'emploi" est de plus en plus présent dans notre environnement professionnel. C'est plus que regrettable : c'est se tirer une balle dans le pied. Nous estimons que ces termes et ce modèle ne sont pas adaptés à une institution dont la mission est de former des adultes et des citoyens émancipés et éclairés. L'éducation publique est fondée sur des valeurs de solidarité, d'égalité des chances et d'accès au savoir pour tous. Ces valeurs sont fondamentales et ne doivent pas être compromises par une logique de rentabilité ou de performance financière. Ainsi, la concurrence, dont il est possible qu'elle ait sa propre efficacité dans l'économie de marché (chacun en jugera), devient contre-productive dans le cadre des objectifs de nos enseignements républicains.
5. Innovation et créativité : Les établissements éducatifs doivent encourager l'innovation pédagogique et la créativité, des aspects qui ne sont pas toujours compatibles avec une gestion axée sur l'efficacité économique et la réduction des coûts à très court terme. Si la nation a accepté jusque-là de dépenser de fortes sommes dans l'éducation de ses enfants, c'est bien parce que le profit escompté, outre celui avant tout moral et civique, peut-être économique : mais ce retour ne peut pas être comptabilisé ni à l'échelle du collège, ni à l'échelle de temps de l'année financière. Il n'entre donc pas dans les compétences de notre Conseil d'administration d'envisager « de gérer le collège comme une entreprise ».
6. Environnement sain et durable : Les établissements éducatifs ont un rôle à jouer dans la promotion du développement durable et de la responsabilité sociale, des concepts qui vont au-delà des simples considérations financières. Ainsi, l’introduction dans les repas des aliments de l'agriculture biologique ne sont pas un surcoût, mais le recours nécessaire pour le bien-être sanitaire des élèves et des personnels comme celui de l'environnement. Ainsi encore, les sorties et voyages pédagogiques ne sont pas tant un coût pour notre collège qu'un enrichissement pour nos élèves qui ne sont parfois jamais encore sortis de la Gironde.
Le modèle entrepreneurial ne semble donc pas adapté à celui d'une institution éducative publique. Nous espérons que ces arguments pourront nourrir la réflexion lors du prochain Conseil d'administration et que les valeurs de l’Éducation nationale continueront d'être préservées malgré la submersion des termes issus de l'entreprise privée, qui s'imposent trop souvent à notre insu, mais créant ainsi les dispositions culturelles pour abolir nos ambitions humanistes.
Nous vous prions d'agréer, Madame la principale, l'expression de nos salutations distinguées.
Les enseignants du collège *********

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