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Billet de blog 10 janvier 2016

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La Corse et les fractures françaises

Quelques réflexions sur la situation en Corse en général et à Ajaccio en particulier, en réaction à un article de Madeleine de JESSEY paru le 28 décembre 2015 dans « Le Figaro » et que l’on peut retrouver repris sur le site de Magistro.

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Quelques réflexions sur la situation en Corse en général et à Ajaccio en particulier, en réaction à un article de Madeleine de JESSEY paru le 28 décembre 2015 dans « Le Figaro » et que l’on peut retrouver repris sur le site de Magistro.

L’article est très  intéressant, même si c’est pour illustrer le fait que le continent voit toujours la Corse à travers une grille de lecture parisienne, et la banlieue depuis le centre-ville.

Illustration 1
Corse

Concernant Jean-Guy TALAMONI - qui est parfaitement capable de se défendre lui-même étant avocat de profession - on ne saurait lui reprocher d’avoir été fidèle à tous ses engagements. Le français langue unique de la république, il le conteste formellement depuis des années, ouvertement et publiquement, même si en vérité il s’exprime mieux en français qu’en corse.

Son discours en corse n’a surpris que peu de gens en Corse. Ceux qui l’ont été contestent la prise de position politique qui est liée à son prononcé, mais personne n’est surpris qu’il ait effectué un acte conforme à la ligne politique de ses électeurs et à ses convictions… sauf sur le continent où effectivement un homme politique conforme à la ligne politique de ses électeurs et à ses convictions… on a parfois du mal à en trouver.

La vraie question, que l’on occulte assez soigneusement, c’est comment dans une île qui est un véritable exemple de civisme républicain par son taux de votants à ces dernières élections (sic), on a une majorité nationaliste qui l’emporte face à tous les autres partis réunis, front national inclus.

Les incidents qui ont eu lieu aux jardins de l’empereur n’ont aucun lien avec les élections, mais sont riches d’enseignements. Surtout sur la réaction populaire et son impact d’un bout à l’autre de l’île indépendamment de tous les partis politiques, nationalistes compris.

Ces incidents, pour ceux qui travaillent au quotidien en ZUS / ZSP sont affligeants de banalité. Sur le continent, un caillassage de camion dans une cité on en parle pratiquement pas, ou très peu. En tous cas sans autre réaction qu’une éventuelle « condamnation » verbale (dont les auteurs de l’infraction rigolent ouvertement) et, parfois, l’ouverture d’une enquête. Enquête close discrètement dans l’année qui suit, pour ne pas faire monter outre mesure le chiffre des affaires non résolues.

A Ajaccio une chose extraordinaire s’est produite. Les propos des agresseurs, au moins autant que leurs actes, n’ont pas été acceptés par la population. La population s’est massée spontanément pour s’indigner puis - de façon incompréhensible ailleurs, mais assez naturelle sur place - cette foule a pris le chemin du quartier en question pour affirmer sa présence, sa souveraineté, sur les lieux.

Effectivement face à trois pompiers tombés en embuscade il y avait du monde, et face à un millier de personnes quelques heures plus tard leurs lâches agresseurs se sont bien garder de donner le moindre signe de vie.

Ce faisant la Corse ne prend pas le large, mais elle montre une voie.

Quand vous n’avez pas peur, avec vos voisins et vos amis d’aller affronter la racaille et la canaille sur son propre terrain, la racaille et la canaille le comprennent très bien, et font profil bas.

« La rue appartient à celui qui y descend », les jardins de l’Empereur appartenaient ce jour-là à ceux qui y sont montés, et qui y sont d’ailleurs revenus (sans violences cette fois) pour le réaffirmer.

En marge de cette action qui a été globalement assez pacifique et suivie par les forces de l’ordre, qui n’étaient pas absentes, il y a eu deux incidents à déplorer : la mise à sac d’un lieu de culte Musulman et la destruction d’un snack kebab. Ce sont des incidents qui ont été regrettés par la majorité des participants, mais qui n’ont rien de commun avec les scènes de guerre civile auxquelles on est habitué lors de manifestations parisiennes ou de vraies bandes criminelles organisées profitent des événements pour piller des magasins et affronter les forces de l’ordre sans aucun rapport politique avec le point de départ de ces manifestations.

Là c’est un débordement ciblé. Mal venu, c’est certain, mais qui traduit non pas la volonté de remettre en question les institutions de la république en s’en prenant aux policiers, ou de se remplir les poches en pillant des magasins sur le parcours comme on le fait si bien sur le continent. Ce n’était pas le fait de criminels de droit commun, mais plutôt de gens en colère réelle, qui ont passé les bornes de la loi. Il faut effectivement les calmer, et s’ils sont retrouvés les condamner réellement.

Les valeurs de la république sont sans doute plus et mieux incarnées par la majorité de braves gens qui sont montés aux jardins de l’empereur affirmer la souveraineté sur cette terre, que par des « condamnations » dans les journaux auxquelles, en vérité, plus personne ne croit.

Ce n’est pas « la loi du plus fort » qui s’est exprimée, c’est la volonté populaire.

Effectivement, une manifestation spontanée, sans leaders politiques (de quelques bords que ce soit) pour la manipuler et la récupérer, il y a bien longtemps que sur le continent cela n’existe plus. Difficile de commenter quand on est habitué à attribuer les désordres à l’extrême-droite, ou à l’extrême-gauche. Là il n’y a rien à attribuer. Même pas aux nationalistes.

Sauf peut-être au peuple. Peuple dont se réclament toujours et nos élus et nos institutions.

C’est un signal fort, celui d’un écart significatif entre un pays réel et ses élites (ou supposées telles) face à la réalité du terrain.

Le pays n’est pas tant en danger qu’on ne le dit. Pas tant que les français seront assez nombreux et assez déterminés pour montrer fermement qu’ils n’entendent pas laisser quelques crapules s’amuser aux dépends des services publics qu’ils paient. C’est ce message-là qui vient de Corse : Pas la peine d’attendre un attentat meurtrier pour se souvenir de qui on est et affirmer que l’on est chez soi.

Bien sûr, comme dans toute manifestation de force, il y a et il y aura des incidents. Un lieu de culte est abimé, un snack brule. Mais en sens inverse il faut bien noter que personne ne s’est amusé à essayer de faire des représailles dans les jours qui ont suivi. Ce n’est pas dû à la police…

Sur le continent (comme en Corse) les décideurs calculent le risque d’escalade, d’engrenage ou « d’amalgame » avec tant de précision qu’ils ne réagissent plus. A Ajaccio les gens l’ont compris et ils ont réagi immédiatement, sans calcul savant de « spin doctor ».

C’est cela la « tendance à se faire justice eux-mêmes » ?

Que dire de la « tendance à ne faire justice que par communiqué » ?

Laquelle des deux a produit les meilleurs effets ?

Reprenons les violences des dix voire onze dernières années, et voyons quels brillants résultats ont été obtenus en Corse et sur le continent sur ce sujet. Ce serait une étude intéressante.

C’est sur une partie de la conclusion que nous nous rejoindrons : « Ces événements se reproduiront. Ils se multiplieront même, tant que nous fermerons les yeux sur la terreur à laquelle nous avons livré certains quartiers. »

A Ajaccio, ce n’est pas l’indivisibilité de la république qui a été remise en cause. C’est son manque de courage politique.

Courage politique et non courage physique, car les forces de l’ordre existent partout en France et elles ne manquent ni de courage ni de bonne volonté.

Elles manquent peut-être parfois… d’ordres clairs, tout simplement.

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