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Billet de blog 11 décembre 2017

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Elections territoriales en Corse

Les dernières élections territoriales Corses n’étaient pas achevées qu’on en était déjà aux plus fines analyses pour un public continental que le premier tour avait sidéré, éliminant à la fois leur « gauche » et leur « Front National ». Or les surprises, le corps électoral français les digère souvent mal, il fallait donc prémâcher ce qui de toute évidence allait suivre, pour éviter l’indigestion.

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Les interventions  intelligentes d’Hélène CONSTANTY n’étant apparemment pas dans « le bon goût français » Monsieur Éric ZEMMOUR a écrit à la veille du second tour des élections territoriales de 2017 un article très  intéressant sur un résultat qui était un peu couru d'avance.

Je ne partage pas la conclusion, mais la démarche en elle-même a un certain intérêt.
Elle prouve en effet de quelle manière on "récupère" sur le continent les données relatives à la Corse pour les insérer dans une grille de lecture parisienne rassurante.

Il est en effet impossible à nos compatriotes du continent d'accepter certaines évidences.
Ils ne peuvent admettre l'existence d'un peuple Corse, d'une langue ou d'une culture Corse, que comme des dérivés folkloriques.
L'idée même que la Corse - pour aussi pauvre qu'elle ait été à l'époque - ait été une nation souveraine reconnue internationalement les révulse.
Quant à leur faire admettre - preuves écrites en main - que la Constitution Corse est antérieure aux constitutions Américaine et Française qui s'en sont inspirées, c'est impossible, car la chose est rayée de leur mémoire, disqualifiée d'office. Je ne parle pas de tous les Français, mais de nos « élites ».

Alors, quand ce peuple Corse qui n'existe pas et bavarde vaguement en patois, envoie bouler le parti qui détient le pouvoir en France à l'avant-dernière place d'une élection, il faut bien trouver quelque chose à dire. Sinon le prêt-à-penser continental se trouverait en défaut, ce qui est… impensable.

La « gauche », au sens où elle s'entend sur le continent, est laminée dans ces élections territoriales.
La « droite » à laquelle ils sont habitués, celle qui est labellisée "Les Républicains" prend elle aussi une déculottée en finissant à la dernière place.
Ils ne savent ce qu'est cette « droite insulaire » que l'on retrouve en seconde position, et du coup ils l'ignorent, alors qu'il eut été intéressant d'examiner la conflagration, entre des anciens encore bien enracinés et des modernes trop superficiels dans cette droite. Mais ils ne peuvent décrypter les scores comme ils le font d'habitude car ils ignorent nos jeux d'alliances de famille et de pouvoir qui font que dans ce qu'ils nomment moyennageusement "bastions" ou "fiefs" leurs champions ou plus précisément leur championne fasse un score absolument ridicule. Score qui pouvait pourtant se prédire au bar du village sans même aller jusqu'à la Mairie, suivant les allégeances locales.

En bref, n'ayant pas les clefs pour entrer ils regardent la maison de Corse par les fenêtres du rez-de chaussée, et comme tous les carreaux ne sont pas bien astiqués et certaines fenêtres bien fermées, ils décrivent surtout ce qui plaira à leurs lecteurs du peu qu'ils peuvent voir, en y appliquant leur logique continentale.

On va donc caricaturer le mouvement national Corse, qui est multiple, en un seul; qui sera le plus clandestin et terroriste possible. Voire criminel.
On ne va pas chercher le pourquoi du renoncement à la violence politique ailleurs que dans une vague peur du Gendarme qui, en passant, n'a jamais trop existé.
Il y aurait trop à dire sur les conférences de presse dans le maquis, à commencer par ce qui concerne la presse d'ailleurs ; on va donc s'en servir uniquement comme d'un épouvantail.
Et l'on grossira le trait des mallettes de billets, qui certes ont existé, jusqu'à en faire un axe politique ce qui est évidemment faux.

On revient, bien sûr tout à la fois sur l'assassinat du Préfet ERIGNAC et sur un inutile et toujours inexact parallèle avec la guerre d'Algérie. Ouf ! On a échappé à la guerre d'Indochine et aux « heures les plus sombres de notre histoire » pour cette fois.

Quel est le but?
Parvenir à nier la réalité politique du mouvement nationaliste Corse en amalgamant nationalistes et indépendantistes et surtout en faire un mouvement "à la française". Un mouvement comme il en existe sur le continent.
Toute originalité, toute spécificité, tout caractère endémique de la politique Corse doit être nié et rattaché, de façon si possible péjorative, à une référence  française continentale.
Car la Corse c'est la France, même si les gaulois n'y ont pas mis les pieds à l'origine, loin s'en faut.

Parfois j'ai pitié, car l'exercice est quasiment impossible.

Comment expliquer qu'une île où les électeurs ont fort bien voté en faveur de Madame LE PEN à la  dernière Présidentielle ait éliminé le Front National au premier tour des Territoriales de la même année, quelques mois plus tard?
Tempête sous un crâne.
Mais c'est là que l'on voit « le génie français ».
On y arrive tout de même.
Certes c'est faux, avec une interprétation spécieuse de l'altercation de Sico, et c'est même grotesque, mais on y arrive.

On va tout simplement nier au nationalisme Corse sa notion de nation, pour la remplacer par la notion d'identité.
Le racisme, en effet, aurait fait mauvais genre dans le raisonnement, mais l'identité, c'est presque parfait.
Et voilà donc le "Deus ex machina" qui permet d'expliquer facilement l'élection aux Français:
Les Corses ne sont pas nationalistes (puisque la nation Corse ne saurait exister), ils sont "identitaires".

Et les identitaires, sur le continent, cela renvoie quelque part à une forme d'extrême-droite dans les grilles de lecture politiques parisiennes, donc cela explique le succès de Madame LE PEN et le laminage de son parti aux territoriales par une sorte de transfert sur SIMEONI/TALAMONI. CQFD.

Conclusion:
"La victoire promise à SIMEONI et ses "natios" n'est donc pas un vote nationaliste ni autonomiste, mais identitaire."
Et d'ajouter la géniale touche de théorie du complot qui donne à cette ineptie un goût de fruit défendu:
" Mais personne - ni le pouvoir, ni les nationalistes, ni même les grands médias - n'ont intérêt à ce que cette réalité soit dite."

Il faudrait, peut-être, déjà, que ce soit une réalité.
"Être ou ne pas être, là est la question" disait SHAKESPEARE en son temps.

Les plus brillants politologues de France ont beau venir à la rescousse, les faits sont là:
Dimanche, de façon démocratique, des électeurs ont majoritairement voté pour un mouvement qui dans tout ce qu'il leur a promis, défendait une Nation Corse, un Peuple Corse, une langue Corse et une Culture Corse.
Les rebaptiser "identitaires" n'est qu'un mince rideau de fumée.

Illustration 1
Jean-Guy TALAMONI et Gilles SIMEONI


Voir la réalité en face, l'assumer, la combattre si nécessaire, serait plus honnête.
Mais peut-on combattre un vote démocratique autrement que par une bataille électorale?

Elle vient d'être perdue.
Ce n'est pas bien glorieux.

Une chose est sure:
Ce n'est plus en caricaturant la Corse et les Corses que l'on peut combattre le sentiment national des Corses.

Le temps de ces bouffonneries est passé.
Celui des projets de société et du vivre-ensemble insulaire sont en train d'émerger.
Prenons le temps de l'assumer, et d'en tirer mutuellement le meilleur.

Cette situation nouvelle ne fera peur qu'à ceux qui ne savent pas fédérer, débattre et convaincre.

Oui, la Corse est Française de droit.
Mais c'est une île, avec sa propre mosaïque de peuples et de migrants, sa propre histoire, ses heures d'indépendance, et ses traditions.

Sa diaspora, aussi, plus fidèle et proche qu’on ne le croit.

D'ailleurs les migrants que l'on retrouve sur le continent ne s'y trompent pas.
Ils ne viennent pas « migrer » en Corse.
C'est  qu’ils savent bien qu’ils n’y sont pas bienvenus s’ils ne s’intègrent pas en silence.

Cette terre est différente. Cette terre est nôtre.

Illustration 2
La Corse vue du ciel


"Identitaire" peut-être ?
Soyez gentils, laissez-moi rire.
On en reparlera après.

Didier CODANI

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