Noël est sans doute, et de loin, la plus belle des fêtes.
Il y a plus de 2000 ans déjà, toutes les auberges n’étaient-elles pas pleines en cette saison ?
Et il y a plus de 2000 ans déjà, certains cherchaient des abris de fortune, pour parvenir, sans argent, sans appuis, à passer la nuit. Une nuit à la rue, une nuit de plus…
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De nos jours, avec les moyens fabuleux dont nous disposons, après être allé jusque dans la Lune et en être revenu, après avoir consacré des fortunes à perfectionner l’art de nous exterminer, et maintenant à l’art de vendre au monde entier notre image et l’image de nos produits… nous n’avons curieusement ni assez d’argent pour éradiquer définitivement la faim dans le monde, ni pour donner l’assurance d’un niveau de vie décent et constant à nos concitoyens.
Loin de moi l’idée de critiquer les moyens alloués à une défense et à une sécurité sans lesquels nos acquis matériels deviendraient instantanément illusoires. Mais on sait investir des fortunes pour sauver quelques banques qui fautent à nouveau le lendemain, sitôt sauvées du dépôt de bilan; quand elles ne s’octroient pas plus de primes sans changer de méthodes, avec l’argent du contribuable…
En revanche, curieusement d’ailleurs, on ne sait toujours pas sortir de la rue nos concitoyens qui s’y trouvent acculés. On ne sait toujours pas nourrir avec certitude nos concitoyens quand ils se retrouvent au chômage, dans la misère, puis dans la rue. Au désespoir.
Le sujet n’est pas plaisant en période d’illuminations, de strass et de paillettes.
Il est vrai que Noël, la vraie fête Catholique de Noël, peine à survivre ; même si les églises sont pleines ce 24 décembre, face au « Père Noël » inventé par une firme bien connue de soda américain et à ses couleurs pour détourner la tradition de Saint Nicolas à des fins purement commerciales.
Un seul mot est d’actualité, c’est le mot « cadeau ». Et le « cadeau » n’est gratuit qu’entre parents et amis. Le but étant de nous le vendre au plus grand nombre d’exemplaires et avec la meilleure « marge » possible. Alors, ceux qui sont « à la marge » du « rush des cadeaux », du « rush de Noël », ces marginaux ils dérangent, et on voudrait faire oublier qu’ils pourraient cesser d’exister… si on y mettait les moyens. Faire un peu moins de « com. » politique à ce sujet… et bien plus de social réel.
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« A fréquenter les pauvres on ne gagne que des poux, en fréquentant les riches on arrive toujours à gratter quelque chose » c’est un terrible adage. Un adage qui devrait cesser, qui pourrait cesser si on s’y attachait vraiment.
Ce réveillon de Noël, je l’ai consacré en partie à cette frange de notre population. Nos concitoyens les plus démunis. Après la Messe de Minuit (qui de nos jours se dit à 19h00) une poignée de mains avec les policiers et les militaires qui sécurisent la sortie, et je me dirige, mon gilet fluo caritatif sur le dos, vers un des points de distribution alimentaire qui vont permettre aux plus misérables de manger chaud ce soir.
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Oui il y a des étrangers à ce point de distribution. C’est étonnant ? La misère n’a pas de frontière.
Le Père Noël de ce soir est Albanais, mais maintenant, il fait partie de ceux qui aident.
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Je participe à une association caritative un peu particulière, présidée par un curé de banlieue. Une association où l’on sert sans poser de questions, tant qu’on peut, parce que les gens qu’on voit arriver face à nous on en connait beaucoup et les autres à voir leurs têtes et leur allure, si ce sont des riches qui sont venus quémander un repas on peut leur donner en prime un Oscar du meilleur rôle.
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En descendant de l’Eglise à l’esplanade où se tient la distribution je passe devant une boulangerie. 20h00. Ils ferment. C’est le réveillon, ils rentrent chez eux. Normal.
Une employée me voit, reconnait mon gilet orange. Elle m’interpelle.
Ce sera le « miracle » de ma soirée. Elle a dix sacs d’invendus. Du pain, des pains, « à jeter ».
Ces braves gens ne veulent pas le jeter. Ils savent où je vais. Ils savent ce que nous faisons. Ils veulent nous les donner. Mais à pied, avec juste mes deux bras, dix sacs de 20 kilos, 200 kilos à moi seul, je ne peux pas. Le geste me touche. Je ne peux pas, mais je ne dois pas les laisser perdre.
Ma descente sera rapide. Du pain, nous n’en avons presque plus en réserve. Dix sacs c’est à la fois peu et beaucoup. C’est une assurance-vie pour bien des familles.
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Le temps de trouver une bénévole avec une assez grande voiture, et de remonter le plus vite possible vers cette boulangerie de quartier. Il y a déjà des gens qui – n’en croyant pas leurs yeux – sont là autour de « nos » sacs. Le plus simple en pareil cas c’est de leur dire aimablement de se servir avant que nous ne prenions les sacs. Que peuvent prendre deux ou trois personnes sur dix sacs ? Et après tout, s’ils en ont besoin, notre but est tout aussi bien atteint avec eux.
Certes, nous sommes loin de la « logique du marché », mais c’est la « logique de la charité ».
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Notre retour au point de distribution redonne de la joie aux bénévoles. Un souci de moins pour demain, une solution pour beaucoup de difficultés. C’est Noël.
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Les bénévoles jouent de la musique, certains se sont déguisés, car quand la misère frappe une famille, les enfants sont là, aussi. La distribution se passe bien. La distribution se passe mieux. Et puis cette année il ne pleut pas, il n’y a pas de vent. On ne l’oublie jamais cela ; la pluie, le vent. Tout à l’heure on va rentrer au chaud, avec la satisfaction d’avoir fait une bonne action.
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Pour une grande part de ceux à qui on vient de distribuer, tout à l’heure, au moment où Noël arrive, il n’y aura plus rien de chaud. Il y aura des cartons sur un sol si possible sec, peut-être un matelas, des couvertures, et puis le plus de vêtements possible. La toile de tente, c’est un luxe inouï, pas facile à utiliser en ville.
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Bientôt 21h00. C’est le moment des derniers gobelets de thé et de café chaud avant que nos mondes qui se sont rejoints par charité ne se séparent par nécessité.
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A eux la rue au froid, à nous le foyer au chaud. Un réveillon de plus. Une fois de plus pour le père Patrick BRUZZONNE et l’association Mir, une fois de plus pour Hugo MUCINI de la Cheyenne Fondation. Et puis, un coup de chance avec ces 10 sacs de pains. On a les miracles que l’on peut.
C’est le réveillon de la rue, ce 24 décembre 2017.
Joyeux Noël à tous.
Didier CODANI
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