Profitant toute honte bue de l’émotion suscitée par les assassinats du 13 novembre dernier, le camp réactionnaire n’en finit pas de dévider la pelote des mauvaises solutions autoritaires. A côté de la promotion, avec l’état d’urgence, d’une répression administrative enfin « libérée » des contraintes de l’Etat de droit démocratique, voici désormais la reprise, dans un projet de loi prétendant renforcer la lutte contre la criminalité organisée, de cette vieille antienne extrémiste d’un droit de tuer accordé aux forces de l’ordre.
Reconnaissons au moins à ces dignes héritiers de la mémoire de Nicolas Fouché la franchise de leurs intentions. Il ne s’agit plus d’affirmer, contre toute raison juridique, la nécessité d’améliorer la légitime défense des policiers mais bien de leur reconnaître, en dehors de ce cadre, la possibilité de « mettre hors d’état de nuire » une personne sans engager leur responsabilité pénale.
Il faut réellement avoir perdu toute prise avec la réalité pour admettre qu’une telle proposition puisse un instant être justifiée par la lutte contre la criminalité dite terroriste. En voulant conférer aux gendarmes et aux policiers le droit de tuer les personnes ayant commis « un ou plusieurs homicides ou tentatives d’homicide volontaires », elle parie au contraire sur la survenance de nouveaux attentats meurtriers…
Mais puisque la raison semble avoir définitivement déserté les cénacles du pouvoir, il faut rappeler à quel point cette mesure ne revêt aucune nécessité dans une société démocratique. La situation concrète à laquelle elle prétend répondre est celle où les forces de l’ordre sont directement confrontées à une personne déterminée à commettre plusieurs meurtres et qui, refusant de se rendre, ne se laissera pas interpeller sans violence à leur égard. Or, dans une telle hypothèse, les conditions de la légitime défense sont à l’évidence remplies, justifiant l’usage des armes par des policiers ou des gendarmes directement menacés.
Même dans l’hypothèse où la personne prend la fuite et qu’il est à craindre qu’elle ne réitère son acte dans un bref délai, l’action des services de police pour la neutraliser peut être justifiée par l’état de nécessité dès lors que les moyens employés n’apparaissent pas disproportionnés. Sans même évoquer le droit déjà reconnu aux gendarmes de faire usage de leur arme si cela s’avère strictement nécessaire à l’appréhension de l’individu et qu’il eut été loisible d’étendre à la police nationale.
Mais tel n’est pas l’objet de la réforme proposée. En réalité, il s’agit de reconnaître explicitement le droit de tuer une personne non parce qu’elle menace directement la vie d’autrui ou parce qu’elle risque de ne pouvoir être interpellée, mais parce qu’elle a commis un crime. C’est donc bien une forme détournée de peine de mort que l’on voudrait rétablir. Une peine de mort extrajudiciaire, prononcée sans procès par un agent de police auquel on demande, en quelques fractions de secondes, de se faire tour à tour procureur, juge et exécuteur…
Bien sûr, on tentera de justifier cette disposition en prétendant qu’elle n’a vocation à s’appliquer qu’aux auteurs de crimes terroristes. Mais le texte proposé par le gouvernement a une portée bien plus large. La caractérisation d’une tentative d’homicide étant chose particulièrement complexe, il permettra en pratique d’exonérer de toute responsabilité pénale le policier ayant tiré sur une personne qu’il estime – à tort ou à raison – avoir eu un comportement menaçant. Mais il permettra également, si demain la pente autoritaire du pouvoir s’aggrave encore davantage, de justifier légalement l’usage des armes contre un groupe de manifestant en se bornant à mettre en avant les violences commises par certains d’entre eux…
A l’image de l’hystérie répressive extrajudiciaire qui a saisi nos « gouvernants », cette mesure masque opportunément le chantier des réformes à mener si l’on veut réellement améliorer l’efficacité de la réponse pénale au terrorisme. Plutôt que de délivrer un permis de tuer à des services de police qui, pour la plupart, ne le demandent pas, nos « dirigeants » seraient bien plus avisés de s’attaquer enfin au maquis administratif de l’institution policière et des services anti-terroristes en particulier.
Et, plutôt que de satisfaire le désir de toute-puissance répressive de quelques nostalgiques du premier empire, d’affecter enfin à la réponse judiciaire à la criminalité organisée des moyens à la hauteur des enjeux, non seulement en renforçant un budget de la Justice parmi les plus anémiés d’Europe, mais également en menant en la matière une politique pénale digne de ce nom. On peut se composer le menton le plus guerrier, rien ne changera si l’on ne lutte pas résolument contre le financement des organisations criminelles et le trafic d’armes – ce qui implique, il est vrai, quelques révisions douloureuses s’agissant du contrôle des mouvements des capitaux ou du poids du lobby des marchands d’armes dans la définition de notre politique extérieure…