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Billet de blog 8 avril 2023

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Du bon usage de la fièvre autoritaire

Si le brusque raidissement autoritaire adopté par le gouvernement face à toute forme d’opposition à sa politique mérite qu’on s’y arrête, c’est avant tout en raison des perspectives qu’il ouvre pour le mouvement progressiste.

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Du bon usage de la fièvre autoritaire 

Le brusque raidissement autoritaire adopté par le gouvernement face à toute forme d’opposition à sa politique depuis le passage au forceps de son projet de démantèlement du système des retraites mérite une attention particulière.

Non pas, évidemment, en raison des pathétiques rodomontades du petit laquais de la place Beauvau, dont le ridicule achevé suffit à se passer de tout autre commentaire. Non pas, non plus, en raison de la poussée autoritaire en elle-même, phénomène tristement récurrent tant il participe de la culture politique française, que ce soit sur le temps long ou sur la période la plus récente – il suffit pour s’en convaincre de se remémorer l’ultra-violence avec laquelle fut réprimé le mouvement des gilets jaunes à l’hiver 2018/2019.

Si la surenchère répressive particulièrement bruyante à laquelle on assiste depuis le milieu du mois de mars mérite qu’on s’y arrête particulièrement, c’est avant tout en raison des perspectives qu’elle ouvre pour le mouvement progressiste. En premier lieu, la démesure et l’arbitraire de la répression déployée à l’encontre des opposant-e-s souligne, en creux, l’importance de la révolte que le gouvernement cherche à étouffer. Qu’il s’agisse de la lutte contre le démantèlement des institutions de la sécurité sociale ou contre des projets écocidaires aussi délirants que les grandes bassines, la massification et la radicalisation (au sens strict du terme, c’est-à-dire la volonté de prendre les problèmes à la racine) des militant-e-s du progrès démocratique constitue tout à la fois un levier et une promesse de transformation sociale qui ne sauraient être trop mis en avant. La détermination des manifestant-e-s mérite d’autant plus d’être soulignée qu’elle intervient dans un contexte où, depuis au moins 2016, la répression bête et méchante de la rue est devenu la norme pour un pouvoir dont la légitimité n’a jamais été aussi faible. Elle est d’autant plus encourageante que la révolte est, cette fois, massivement portée par les nouvelles générations.

En second lieu, la propension des autorités à reprendre à leur compte le fantasme réactionnaire de « l’ultragauche » pour tenter de justifier leur emballement répressif offre aux forces progressistes l’occasion unique de reprendre la main de l’opposition au gouvernement. Si, dans une forme de prophétie auto-réalisatrice, la plupart des commentateurs prédisent que la crise politique actuelle profitera au rassemblement national, cette triste issue n’a rien d’une fatalité. La grossière tentative de l’exécutif de faire endosser aux partis de gauche la responsabilité des violences émaillant le conflit trahit au contraire sa peur panique – similaire à celle qui l’a saisi lors de la constitution de la NUPES – de voir renaitre de ses cendres un mouvement de contestation de sa politique autrement plus consistant que la baudruche réactionnaire de Mme Le Pen. Toutefois, pour être à la hauteur de cette invitation (involontaire) à incarner le principal opposant au gouvernement, le mouvement progressiste devra procéder à plusieurs inflexions d’ampleur.

Tout d’abord, il est plus que temps de dénier au lepénisme toute possibilité d’incarner une quelconque alternative à la politique conduite par les gouvernants qui se succèdent depuis le début du siècle. Le registre de la dénonciation morale et du péril fasciste – même s’il est réel – n’a aujourd’hui d’autre effet que de conforter la rhétorique de l’extrême-droite se dépeignant comme une formation « antisystème ». Briser cette représentation suppose dès lors de présenter le lepénisme non comme une alternative au macronisme mais au contraire comme une simple déclinaison de ce dernier et, plus précisément, comme son aggravation. Et d’associer systématiquement, dans le discours critique, la figure de la dirigeante réactionnaire et celle du chef de l’Etat, qui ne sont jamais que les deux faces d’une même pièce. Aisée à mettre en évidence en matière de police ou d’immigration, cette convergence est tout aussi importante en matière économique et sociale, l’orientation lepéniste en la matière étant clairement néolibérale. En somme, présenter pour ce qu’elle est la prétention d’incarner une alternative au capitalisme autoritaire (macroniste) par le passage à l’autoritarisme capitaliste (lepéniste) : une vaste escroquerie.

Mais s’ils veulent eux-mêmes incarner une véritable alternative aux forces conservatrices qui nous gouvernent, les partis progressistes devront se départir de tout ce qui les y associe, fut-ce symboliquement. En particulier, ils devront rompre avec cette propension à faire de l’électoralisme le moteur principal – si ce n’est unique – de leur action. Un électoralisme qui les conduit – qu’ils l’assument ou non – à se couler sans réserve dans le moule d’institutions foncièrement oligarchiques et qui sont autant de points de rupture avec les citoyen-n-e-s. Un électoralisme qui les conduit également, si par accident ils parviennent aux responsabilités, à se priver de l’énergie des forces vives de la démocratie (intellectuel-le-s, syndicats, associations, …) dont le concours leur est pourtant nécessaire pour faire face à la détermination de l’oligarchie à maintenir ses privilèges. Le refus de la professionnalisation de la vie politique constitue l’une des conditions sine qua non de la renaissance du mouvement progressiste, qui doit en finir avec cette dichotomie proprement aristocratique entre gouvernants et gouvernés, élus et électeurs, entre les hommes et les femmes « politiques » et celles et ceux auxquels on dénie cette qualité. 

La priorité est à la re-politisation de la citoyenneté, qui doit devenir concrète et effective. C’est en reconquérant des positions de pouvoir dans toutes les strates de la société que l’on ouvrira la voie à une réelle renaissance des forces démocratiques. En d’autres termes, pour redonner un sens au vote, il faut que l’expression démocratique s’exerce à titre principal en dehors de l’élection, qui doit cesser d’être une fin en soi pour (re)devenir le moyen de faire sauter les obstacles à l’émancipation des citoyens. Dans une telle perspective, les forces vives de la démocratie ont une grande responsabilité. Il est trop facile de faire le constat de l’inanité de l’interpellation des pouvoirs publics et de l’incurie des partis politiques. Face à un tel blocage, il est plus que temps, pour les organisations progressistes non politiciennes, d’assumer la nécessaire dimension politique de leur action et, plus encore, de donner à celle-ci un tour plus concret et direct. De façon non violente et dans le plus pur respect du droit constitutionnel de résistance à l’oppression, il est temps de travailler au renforcement effectif et immédiat de nos droits, dans les entreprises, les services publics et, plus largement, dans tous les espaces de la vie sociale. Si l’on veut être à la hauteur des défis de notre temps, il ne s’agit plus de changer le monde sans prendre le pouvoir, mais de changer le monde sans en demander l’autorisation. 

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