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Billet de blog 11 mars 2021

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Comment renverser la table (I) : suivre le Hobbit

La situation politique a rarement été aussi propice à renverser la table. Rompre avec le fatalisme qui l'en empêche suppose, en premier lieu, de savoir garder le cap.

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Pour qui milite en faveur d'une démocratisation profonde et durable de notre société, la situation politique a rarement été aussi propice à renverser la table. D'un côté, la crise sanitaire que nous traversons depuis maintenant plus d’un an met à nu de façon particulièrement crue la complète faillite d’un capitalisme néolibéral qui en est directement à l’origine, et qui est structurellement incapable de l’endiguer. De l'autre, la crispation autoritaire du pouvoir ne suffit plus à masquer son incapacité à apporter la moindre réponse durable à la violence des rapports sociaux, délictueuse ou non.

Pourtant, un indéniable fatalisme semble avoir saisi le camp progressiste, qui voit dans la situation présente l’avènement d'un régime ouvertement autoritaire en forme de dictature sanitaire ou policière (ce qui, soit dit en passant, revient au même). Un fatalisme contre lequel l'auteur de ces lignes ne prétend hélas pas être immunisé. Mais un fatalisme qui est avant tout le fruit d'un mouvement d'humeur que ne manque pas de susciter le vacarme médiatique qui tient lieu de débat public.

Pour nous aider à dépasser ce pessimisme savamment entretenu, la littérature nous offre un inépuisable réservoir d’énergie créative. Dans les temps troublés que nous traversons, la (re)lecture de ce chef d’œuvre que constitue le Seigneur des anneaux s’avère ainsi d’une aide précieuse. Loin de son adaptation hollywoodienne, le texte de Tolkien nous donne ainsi des leçons de philosophie politique qu’on ne saurait trop méditer. Outre l’inévitable corruption qui frappe celui ou celle qui se laisse griser par son désir de pouvoir – et dont les exemples contemporains ne manquent pas, en particulier dans le camp progressiste – il nous apporte de très utiles enseignements sur le rapport que nous devons avoir aux forces que nous combattons, afin de ne pas nous laisser aveugler par l'adversaire.

Deux personnages illustrent particulièrement ces différents risques. Il y a d’abord Saroumane, le magicien déchu, ancien compagnon de Gandalf et qui, à trop contempler les visées de Sauron à travers son palantir – le réseau « social » de l’époque – en vient à se convaincre que, devant l’inéluctabilité de la victoire des forces du mal, mieux vaut changer de camp. Une attitude qui n’est hélas que trop banale au sein des forces politiques prétendant lutter pour le progrès démocratique. Combien de ses cadres ont prêché la conversion au néolibéralisme économique au nom d’une prétendue fin de l’histoire ? Combien, aujourd’hui, endossent sans complexe cette rhétorique qui, sous couvert de défense de la laïcité, promeut un régime de plus en plus autoritaire et xénophobe ? Si certains agissent par pure opportunité, d’autres ne font en réalité que manifester une forme de soumission aux représentations d’un pouvoir qu’ils estiment invincibles alors qu’en réalité, ils contribuent par cette soumission même à perpétuer sa domination.

Le passage à l’ennemi n’est toutefois pas le principal risque auquel s’expose le militant progressiste qui verse dans la fascination morbide de l’adversaire. Celui-ci est incarné par le personnage de Denethor, intendant du Gondor, dernier royaume des hommes libres luttant contre les forces du mal. Lui aussi consulte régulièrement le palantir et lui aussi s’est convaincu de l’irrésistibilité de la victoire des forces du mal. Pour sa part, il en a conçu un profond sentiment de désespoir et d’accablement, allant jusqu’à tenter de saboter la résistance à l’avancée des armées ennemies. Sans aller jusqu’à cet extrême, qui peut contester qu’un tel sentiment n’assaillisse régulièrement les militant-e-s de la démocratie ? Plus largement, comment ne pas voir qu’à force de ne militer que par réaction aux actions et propositions des camps conservateur et réactionnaire, nous contribuons paradoxalement à les renforcer ?

Heureusement, face à ces deux figures de l’aveuglement, Tolkien nous propose une autre voie : celle du hobbit. Ou plutôt des hobbits, Frodo Baggins et Sam Gamegie. Ce sont ces êtres insignifiants qui, à mille lieux des joutes martiales que mènent les chefs du « monde libre », vont finalement faire tomber les forces du mal. Frodo et Sam n’ignorent rien des dangers et menaces que pèsent sur l’humanité. Ils n’ignorent rien des risques considérables qu’ils prennent en les affrontant. Mais, à la différence de celles et ceux qui ne peuvent détacher leur regard des manœuvres du camp adverse, au risque de ne plus rien faire d’autre que de les commenter, ils gardent le cap. Ils suivent leur plan, leurs convictions et leurs valeurs, l’amitié, la probité et la solidarité. Peut-être serait-il temps de marcher à notre tour dans leurs pas.  

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