Est-il encore temps d’agir avant le rétablissement de la question préparatoire ? D’aucuns jugeront cette assertion caricaturale, ou, pour reprendre les canons d’une certaine bienséance médiatique, trop « radicale ». Certes, la matière pénale n’échappe pas à l’effet d’œillère contemporain qui fait ignorer avec la dernière énergie la faillite démocratique à laquelle nous mènent avec constance et bonhommie nos dirigeants.
Mais si l’on veut bien regarder la réalité en face, il est aisé de constater que l’ordre pénal républicain se trouve, après près de quinze ans d’hystérie répressive sécuritaire, dans un état de déconstruction si avancé que la ruine menace. Hypertrophie paradoxale du champ pénal, inflation démesurée et incontrôlée des prérogatives des services de police, multiplication des dispositifs d’incarcération automatique, rétention de sûreté… Des principes de nécessité, de proportionnalité, de présomption d’innocence et même de légalité des délits et des peines, il ne reste aujourd’hui dans notre système répressif qu’une bien fine épure.
C’est dire si, même passablement édulcorée sous assauts d’un lobby sécuritaire merveilleusement représenté par le ministère de l’intérieur, la grande réforme pénale annoncée depuis des mois est aujourd’hui d’une urgente nécessité. On apprend pourtant que son examen ne débutera, dans le meilleur des cas, qu’après les élections municipales. Et l’on devine aisément ce qu’une telle décision doit à l’incapacité du gouvernement à affronter le procès en laxisme qui a déjà commencé à fleurir contre la « réforme Taubira ».
A ce stade, on ne peut qu’éprouver une certaine lassitude devant cette fuite en avant quand il est établi depuis des décennies que ce qui garantit l’efficacité de la réponse pénale ce n’est pas sa démesure, mais sa certitude et sa qualité. Mais c’est oublier que l’idéologie sécuritaire n’est portée par aucun souci d’efficacité. Si le modèle répressif simpliste et brutal qu'elle préconise séduit autant, c'est qu'il offre une réponse simple et apparemment rassurante à un phénomène délictueux perçu de façon d'autant plus inquiétante que s'étiolent les solidarités sous les coups de boutoirs du néolibéralisme.
Il faut le donc le dire haut et fort : cette idéologie n’est rien d’autre que le dernier avatar de la vielle résistance bonapartiste à la mise en œuvre complète et conséquente du projet pénal républicain. Un gouvernement progressiste ne saurait donc se satisfaire d’un impossible droit à la sécurité promis à un peuple opportunément réduit à une communauté de victimes perpétuelles et qui ne fait qu’ajouter la violence publique à la violence privée. Il lui appartient en revanche de restaurer le droit du citoyen à la Sûreté, en luttant de façon résolue et dépassionnée contre toute forme d’oppression, qu’elle soit d’origine privée ou d’origine publique. D’œuvrer à l’effectivité de la loi pénale en l’appliquant de façon utile et pondérée aux faits qui le méritent, plutôt que de poursuivre à chaque fait divers une pénalisation démesurée, infinie et finalement stérile qui laisse le champ libre au primat de la force. Promptitude et certitude de la répression font plus que force ni que rage.
Le rétablissement de l’ordre pénal républicain est à notre portée. Il ne nécessite qu’un peu de courage politique.