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Billet de blog 23 avril 2013

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Sécurisons la démocratie

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A l'heure où revient – très rapidement – en seconde lecture à l'Assemblée nationale le bien mal nommé projet de loi « relatif à la sécurisation de l'emploi », il n'est pas tout à fait inutile de rappeler quelques fondamentaux de droit républicain qui, à eux seuls, justifient de s'y opposer avec la dernière énergie.

Beaucoup d'arguments sont aujourd'hui mobilisés pour justifier le passage en force législatif de l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 (ci-après ANI), dont l'issue ne fait malheureusement guère de doutes. Il est bien sûr nécessaire de combattre sans réserve l'opinion qui émerge derrière l'économie générale du texte et qui voudrait expliquer le sous-emploi chronique des travailleurs français par la supposée « rigidité du marché du travail » et non par l'improductivité congénitale d'un système économique taillé sur mesure pour la rente spéculative.

Mais avant de s'engager sur ce terrain aussi nécessaire que périlleux eu égard à la prégnance de l'idéologie néolibérale dans l'espace public, c'est l'idée même selon laquelle il ne serait pas hautement attentatoire à la souveraineté nationale de transcrire pour ainsi dire mot à mot le texte de l'ANI dans le corps de la loi1 qu'il faut tailler en pièces.

Dénoncer le caractère minoritaire de l'accord ne suffit pas. Eut-il recueilli le suffrage de l'ensemble des organisations syndicales de ce pays, suscitant des applaudissements extatiques jusque dans les rangs de la CNT2, que le problème resterait, d'un strict point de vue démocratique, plein et entier.

Faut-il le rappeler, la loi constitue, en République, « l'expression de la volonté générale »3. Elle ne saurait donc être instituée dans l'intérêt particulier des personnes directement concernées par son domaine d'application, mais dans celui bien compris de tous les citoyens. Engageant l'ensemble de la Société pour un temps en principe un peu plus long que la lecture du communiqué de presse accompagnant sa promulgation, la loi se doit de prendre en compte non seulement la situation des salariés d'aujourd'hui, mais également celle des salariés de demain.

Elle doit aussi et même surtout garantir à tous les autres que, dans une société qui se prétend démocratique, aucun phénomène d'oppression ne puisse durablement prospérer. Pour le dire autrement, le processus de démantèlement des maigres garanties juridiques accordées aujourd'hui aux salariés – qui se laisse deviner à travers l'institution des futurs accords de mobilité ou de maintien de l'emploi4 – ne concerne pas que ceux qui en seront demain victime, mais bien l'ensemble des citoyens que le Parlement a aujourd'hui la charge de représenter. Dès lors rien ne justifie que les dispositions de l'ANI puissent, en tant que telles, s'imposer au législateur. Elles ne sont qu'un élément, parmi d'autres, dans le débat public sur la politique de l'emploi.

Cette forme de dépossession de la souveraineté du Parlement doit d'autant plus être combattue que le gouvernement semble la promettre à un bel avenir. Le 15 mars dernier, il déposait en effet un projet de réforme constitutionnelle visant à inscrire dans le texte de la loi fondamentale l'obligation de soumettre à la négociation préalable des partenaires sociaux tout projet de loi modifiant le droit du travail. Une façon de systématiser le chantage à « la démocratie sociale » que nous vivons aujourd'hui, étrange idiome pour désigner une entreprise de progression de l'arbitraire au sein du monde du travail menée, à marche forcée, au mépris de la souveraineté nationale.

1Ainsi que s'en félicite l'auteur du projet de loi, quand il indique que « l’équilibre de l’accord et les engagements des signataires sont pleinement respectés par le présent projet de loi, ainsi que le Gouvernement s’y était engagé », in Assemblée nationale, projet de loi n°774 de la quatorzième législature, Paris, 6 mars 2013.

2Dernier syndicat, à notre connaissance, à se revendiquer de la mouvance anarcho-syndicaliste.

3Article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789.

4Voir le BLUMA de janvier 2013.

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