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Billet de blog 28 mars 2024

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Comment renverser la table (IV) : chevaucher la vague

La montée de l’autoritarisme à laquelle nous assistons depuis de nombreuses années constitue une formidable opportunité pour, enfin, relancer le processus de démocratisation de notre société que la montée en puissance du capitalisme « néolibéral » paralyse depuis plus de quarante ans.

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Refusant de verser dans la fascination morbide de l’adversaire, sachant le tourner en ridicule à chaque fois que cela est nécessaire et ayant pour horizon une démocratie toujours à approfondir, nous pouvons désormais affronter avec sérénité la crise politique contemporaine. Car la montée de l’autoritarisme à laquelle nous assistons depuis de nombreuses années maintenant n’est pas simplement un péril à endiguer. Elle est aussi une formidable opportunité pour, enfin, relancer le processus de démocratisation de notre société que la montée en puissance du capitalisme « néolibéral » paralyse depuis plus de quarante ans. 

La fuite en avant réactionnaire de nos gouvernants n’a pas seulement l’immense mérite de ruiner la prétention de l’extrême-droite à incarner une quelconque alternative à un camp conservateur qui s’échine depuis plus de dix ans à normaliser ses représentant-e-s et à mettre en œuvre ses priorités politiques. Elle offre encore et surtout au camp progressiste une occasion unique de reprendre l’initiative. Pour en prendre la mesure, il faut bien comprendre ce qui se joue derrière le raidissement autoritaire de la grande majorité des classes dirigeantes. Loin de relayer une aspiration populaire massive, la surenchère répressive et xénophobe qui leur tient lieu de principale boussole se donne à voir comme une tentative désespérée pour contrer les profondes tendances démocratiques qui irriguent la société. Alors que le mythe de la mondialisation heureuse a fait long feu, que leur démocratie de carton-pâte ne parvient plus à masquer la réalité crue de la structure foncièrement oligarchique et irrationnelle de notre régime politique et de notre ordre social, il s’agit, une nouvelle fois, de détourner la colère populaire vers de biens classiques boucs émissaires (les « étrangers », les « délinquants », les « assistés ») pour mieux sauvegarder leurs privilèges. 

Cette orientation peut et doit donc être combattue non depuis la citadelle assiégée d’une démocratie qui n’a jamais vraiment existé mais depuis la crête d’une immense vague démocratique appelée à renverser la vieille oligarchie (pour ne pas dire monarchie) parlementaire à laquelle s’accrochent nos adversaires. Nous sommes les assiégeants, non les assiégés. Et nous sommes portés par de puissants courants, d’autant plus stimulants que la jeunesse y occupe une place centrale. Le premier d’entre eux est bien sûr le mouvement féministe, désormais radical et massif, dont le renouveau que nous observons depuis la fin des années 2000 est l’une des principales causes de la panique morale de nos élites. Voici là un moteur d’une puissance inédite en faveur de l’égalité réelle entre les personnes, d’une liberté sexuelle véritable et d’une démocratisation du travail domestique dont on comprend qu’elle indispose fortement les classes dirigeantes.

Le deuxième courant est celui de l’antiracisme ou, pour le formuler positivement, du métissage républicain. Ce qui rend folles nos élites c’est, en dépit de toutes les embûches existantes, l’extraordinaire faculté d’intégration de celles de nos institutions qui demeurent républicaines ou, pour le dire autrement, de l’héritage républicain qui continue pour partie et malgré tout d’irriguer nos institutions. Ce qui les rend folles, c’est le fait que des millions de nos compatriotes soient d’origine étrangère (et notamment africaine) et néanmoins pleinement français-e-s. Et que, sans renier leurs racines et le cas échéant leur religion, ces compatriotes témoignent un attachement à l’idéal républicain qui ne se rencontre que très rarement dans les beaux quartiers. Ils constituent une force sociale nombreuse et désormais bien enracinée qui, si elle suscite la xénophobie de nos adversaires, constitue également le meilleur instrument pour la faire refluer. 

Le troisième courant est celui de l’écologie. A mille lieues du déni explicite ou implicite de nos classes dirigeantes, les jeunes générations sont bien conscientes que la crise climatique menace directement leur espérance de vie à court terme. Elles sont bien conscientes de la nécessité d’œuvrer à une transformation radicale de notre société et notamment de notre modèle économique. Elles sont aussi, bien plus que leurs aînées, soucieuses de donner un véritable sens à leur existence, loin du délire stakhanoviste ou de la fièvre consumériste qui restent le seul horizon de nos dirigeants. On comprend dès lors la panique de ces derniers au-devant d’un mouvement anticapitaliste d’autant plus puissant qu’il n’a jamais revêtu une dimension aussi existentielle. 

Bien d’autres courants alimentent cette panique et, partant, la fuite en avant réactionnaires de nos élites. Que l’on songe aux aspirations renouvelées à un plus large partage des richesses qu’expriment les mouvements aussi massifs qu’inattendus que sont la révolte des gilets jaunes à l’hiver 2018/2019 ou, encore, le large front populaire qui s’est ouvert à l’hiver 2022/2023 contre la dernière attaque en date contre notre assurance-vieillesse. Que l’on songe également à l’ampleur inédite prise ces dernières années par le mouvement de lutte contre le recours abusif à la force par les services de police. Et l’on pourrait – et l’on devrait, d’ailleurs – multiplier les exemples. Si les agents de la réaction fascisante déploient tant d’énergie pour se rendre hégémoniques dans l’espace public, c’est aussi pour occulter le fait que celles et ceux qui travaillent concrètement à une société plus démocratique (défenseurs des exilés, paysans et acteurs de la transformation écologique, militant-e-s syndicaux et associatifs, chercheurs-ses) sont bien plus nombreux-ses.  

Si elle doit être prise au sérieux, la radicalisation autoritaire des classes dirigeantes nous donne aussi la mesure de la vague progressiste qu’elle tente d’endiguer. Nos adversaires ont certes pour eux les ressources du capital financier, de la technocratie d’Etat et d’une propagande médiatique très largement acquise à leur cause. Mais, si seulement nous parvenons à nous unir, ces ressources pèseront finalement assez peu face au tsunami démocratique qui finira par s’abattre sur eux.

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