Comme souvent, l’écran de fumée médiatique entretenu par les gros médias sur la passe d’armes entre la Ministre de la Justice et son homologue de l’intérieur, mais également les attaques ad personem dont ce dernier demeure l’objet, ont masqué les véritables enjeux de cette controverse.
Reprise en boucle pavlovienne par tous les commentateurs, il apparaîtrait que l’Elysée ait donné raison à Christiane Taubira. En réalité, conformément au courage politique qu’on lui connaît, la tête de l’exécutif a plié dès le premier assaut du lobby sécuritaire contre son projet de réforme pénale, pourtant annoncé et muri de longue date. Cédant aux tristes arguties de la place Beauvau, il lui a enlevé une bonne partie de sa substance, délibérément ignorant des travaux ayant établi depuis des décennies que ce qui garantit l’efficacité de la réponse pénale ce n’est pas sa démesure, mais sa certitude, sa promptitude et sa qualité.
Que la fronde ait été menée par le ministère de l’intérieur ne doit toutefois pas surprendre. Qui connaît un peu l’architecture du système répressif moderne sait en effet qu’il était là parfaitement dans son rôle. L’idéologie sécuritaire qu’il porte n’est rien d’autre que le dernier avatar de la vielle résistance bonapartiste à la mise en œuvre complète et conséquente du projet pénal républicain. Elle ne fait que témoigner de la croyance, directement héritée de l’ancien régime, en la nécessité d’une répression arbitraire et terrifiante pour conjurer un phénomène délictueux qui ne demeure perçu comme lointain et mystérieux que parce qu’on se refuse à le comprendre. L’obsession carcérale qu’elle porte n’entretient aucun rapport avec une quelconque volonté de réduction la récidive, mais trahit bien au contraire l’attachement persistant aux peines « afflictives et infâmantes » de l’ancien code pénal.
La question posée à la Gauche n’est donc pas de savoir si l’actuel locataire de la place Beauvau a sa place dans le gouvernement, mais si elle entend plus longtemps tolérer le poids exorbitant dans la définition des politiques publiques dont bénéficie, depuis le premier empire, l’administration qu’il représente .
Car admettre que le Ministre de la police ait, plus que celui de la pêche ou des sports, son mot à dire dans la définition du droit pénal et en particulier des modalités de la peine, c’est admettre que nous ne nous trouvons pas, en tous cas pas totalement, dans un Etat de droit, mais bien plutôt dans un Etat policier. C’est donner au procès pénal non une finalité de rétablissement de la Justice, mais une finalité de maintien de l’ordre, quel qu’il soit.