Lundi 4 mars 2024, la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, dont je suis membre, a approuvé, grâce au soutien de la droite, des macronistes et des socialistes, les trois textes qui composent le nouveau cadre budgétaire européen. Autant le dire tout de suite, celles et ceux qui se réjouissent d’un « accord historique » ou de « règles équilibrées et réalistes » vous trompent à dessein. La matrice de ces règles est inchangée : c’est bien le retour de l’austérité budgétaire et de la casse sociale.
Des files d’attente interminables aux urgences ou pour mettre son enfant dans une crèche, des classes sans professeur, des places d’hébergement d’urgence supprimées, des lignes TER fermées ou encore des réhabilitations thermiques de logements qui n’auront pas lieu : voilà ce qui nous attend, entre autres choses, avec les nouvelles règles budgétaires européennes.
- Que prévoient ces textes exactement ?
Officiellement, l’alpha et l’oméga de la politique budgétaire européenne, les fameux critères de Maastricht (3% de déficit budgétaire, 60% de dette publique) ne sont plus les objectifs principaux. En réalité, ils restent omniprésents et implicites, y compris dans les méthodes de calcul et les nouvelles règles censées apporter de la flexibilité supplémentaire aux États membres.
Le principe de base : les États membres qui ont des taux d’endettement ou de déficit public jugés excessifs disposent d’une période d’ajustement de quatre ans pour revenir dans une trajectoire budgétaire « soutenable ». Cette période pourra être allongée jusqu’à sept ans en échange de « réformes structurelles ». Durant ce laps de temps, les pays devront réduire leur endettement d’un point de PIB, au minimum, voire plus pour ceux qui dépassent à la fois les seuils de dette et de déficit. Ces plans de désendettement seront fixés par la Commission européenne.
Cela peut sembler technique - et ça l’est - mais les conséquences, elles, sont bien tangibles.
- Dans les faits…
Dès l’année prochaine, les États membres devront faire près de 100 milliards d’euros de coupes budgétaires, selon des estimations d’ETUC, la confédération des syndicats européens. En France, ce sont plus de 25 milliards d’euros par an de restrictions budgétaires qui seront imposées dès l’entrée en vigueur de cet accord, ou 14 milliards, si le plan est mené sur sept ans. En Italie, ce sera entre 13.5 et 25.4 milliards d’euros annuels. En Espagne, entre 8.9 et 13.9 milliards. Même l’Allemagne, qui fait pourtant face à un manque chronique d’investissements publics, devra réduire ses dépenses d’un montant allant de 5.8 à 11 milliards d’euros annuels, en fonction de la période d’ajustement.
Les montants sont faramineux. En comparaison, les 10 milliards d’économies annoncés début février par le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, ne sont qu'une bagatelle. Quant aux fameuses « réformes structurelles » en échange desquelles un pays peut acheter trois ans supplémentaires, ce sont les mêmes qui ont muselé la Grèce suite à la crise économique de 2008 et poussé des millions d’Européen·nes au chômage. Ces réformes riment avec un détricotage du droit du travail, des retraites, de l’éducation, de la santé ou du chômage. Bref, le démembrement des services publics.
- Une réforme antisociale, autant qu’illogique et opaque
Cette réforme est incompréhensible. Alors que l’objectif annoncé était la simplification, ce sont finalement la multiplication des règles et l’utilisation des concepts flous et mal définis qui triomphent. Le tout, afin de mettre d’accord une coalition baroque – allant des socialistes espagnol·es aux conservateur·rices allemand·es – finissant par rendre les exigences de cette réforme complètement opaques, mêmes pour les technos.
Alors que certain·es, notamment chez les socialistes, ont bon espoir que la complexité de ces règles les rendent inapplicables (c’est dire le peu de crédit qu’ils et elles accordent au « social » en soutenant cette réforme), je ne me fais pas d’illusions. La Commission européenne, elle, sera tout à fait à même de comprendre et d’appliquer ces règles d’austérité, en imposant certaines mesures et conditions aux États. Chaque pays ira donc négocier directement avec la Commission sa trajectoire de désendettement, et tous les pays n'auront évidemment pas le même pouvoir de négociation. Injuste et incompréhensible.
Le retour en grâce de l’austérité fait aussi fi de toutes les leçons du passé. C’est pour moi le plus grand mystère : qu’est-il advenu du consensus économique post crise économique de 2010-2012 ? Alors que tout le monde s’entend pour dire que ce sont justement les politiques d’austérité qui avaient précipité au chômage des millions de personnes, miné la croissance et qui expliquent l’écart grandissant entre économies européenne et américaine, voilà que l’Union européenne renoue avec ses lubies austéritaires. Qu’a-t-on appris de la crise sanitaire, où l’intervention décisive de la puissance publique a permis d’éviter la faillite de milliers d’entreprises et l’effondrement du pouvoir de vivre de millions de citoyens et citoyennes ? Manifestement rien.
Aujourd’hui et alors même que la crise sociale s’aggrave – 9 millions de pauvres en France - et que les défis de la transition sont immenses, nous nous tirons une balle dans le pied. Quand toutes les études montrent que la transition écologique et sociale requiert des investissements publics massifs, plus de 250 milliards d’euros par an dans l'UE selon l’Institut Rousseau, ces règles vont empêcher de fait ces dépenses. La baisse de 20% du budget Ma Prime Rénov’ annoncée par Bruno Le Maire n’est rien en comparaison de l’orientation austéritaire de ce nouveau pacte budgétaire, qui portera le coup fatal aux politiques de lutte contre le changement climatique.
Le retour de l’austérité c’est le sacrifice de notre avenir sur l’autel de l’équilibre budgétaire à court terme.
- Un autre chemin est pourtant possible.
Premièrement, il faut cesser de confondre réduction de la dette et viabilité de la dette. Le niveau d'endettement moyen dans la zone euro est de 90 % et en diminution, alors que les États-Unis sont à 120 % et en augmentation rapide, et le Japon à 260 %. De nombreux·ses économistes, et même le Fonds Monétaire International, indiquent qu'il n'y a aucune justification économique à une réduction forcée de la dette.
Deuxièmement, il est temps d’adopter une approche saine et durable. Soyons clairs : je ne plaide pas pour des dépenses inconsidérées, mais pour un regard différent sur nos dépenses. La qualité - et non seulement le montant - des dépenses publiques doit être examinée : dans quelle mesure nos dépenses répondent-elles aux défis d'aujourd'hui et de demain ?
Ne pas investir aujourd'hui dans les services publics c'est accepter que les services rendus à la population se dégradent inlassablement. C'est accepter que nombre de jeunes bénéficiaires de bourses scolaires en soient privé·es, que le nombre de lits et de praticien·nes aux urgences hospitalières continue à chuter ou que de moins en moins de personnes éloignées de l'emploi soient accompagnées par un dispositif d'emploi aidé. A court terme, ce sont les citoyens et citoyennes qui y perdent. Je ne peux pas l'accepter.
De même, pour demain, il est clair que si nous n'investissons pas dans une transition climatique juste, notre économie et nos recettes fiscales s'éroderont, puis s'effondreront. N’en déplaise à celles et ceux chez les macronistes ou à droite qui se targuent d’être pragmatiques, s’endetter aujourd’hui pour préparer demain nous coûtera sensiblement moins cher sur le long terme.
Enfin, les partisans de cette réforme devraient expliquer comment une Europe forte en termes sociaux, climatiques, économiques et géopolitiques, peut être compatible avec des politiques d'austérité obligatoires. Quand on nous parle de réindustrialisation, de transition ou de défense européenne – où compte-t-on trouver l’argent nécessaire à ces investissements ? L’austérité est synonyme d’effacement.
Je vois les choses différemment. Une Europe forte, juste, sociale et pleinement engagée dans la transition ne peut que s’appuyer sur des investissements publics forts. Cela passe évidemment par les dépenses publiques étatiques. Cela devrait aussi passer par un véritable fonds de souveraineté européen financé par un nouvel endettement commun, qui aurait le double avantage d’être moins coûteux et de permettre des financements plus équitables entre pays.
En ce qui me concerne, je ne m’avoue pas vaincu, vous pouvez compter sur moi pour continuer à me battre pour faire advenir cette Europe-là.