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Billet de blog 5 avril 2020

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Le directeur du supermarché

« Le directeur du supermarché » est rédigé à la manière des écrits rencontrés lors de l’exposition de Hiroshi Sugimoto « Lost human genetic archive » au palais de Tokyo en Juin 2014. Trente-trois récits qui reflètent les réflexions qu’éveillent, chez Hiroshi Sugimoto, les vestiges des civilisations anciennes et la vision imaginaire d’un avenir incertain.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Aujourd’hui, le monde est mort. Où peut-être hier, je ne sais pas.

Cette épidémie, c’était une véritable aubaine ! !

Le gouvernement avait fait fermer tous les services de restauration et la plupart des commerces. Les menaces de confinement total avaient fait craindre une pénurie alimentaire. Les gens affolés s’étaient rués à l’Intermarché et avaient dévalisé mes rayons pour remplir leurs charriots. Cela avait duré plusieurs jours. Un défilé ininterrompu de caddys débordant de produits de première nécessité.

Côté employé, ça commençait à regimber un peu. Le surcroit de travail, les risques sanitaires, etc… Pour couper court à toute protestation, comme je ne disposais pas de masque, j’avais équipé mes caissières de masques à visière utilisés pour le débroussaillage. Pour les mêmes raisons j’avais fait tirer des rouleaux de films alimentaire autour du bureau d’accueil pour protéger mes hôtesses. Aux magasiniers qui n’étaient pas en contact direct avec la clientèle, j’avais simplement distribué des gants de ménage roses. Quant à moi, à l’abri dans mon bureau en verre à l’étage, je pouvais tranquillement surveiller tout ce petit monde qui travaillait pour moi sans le moindre risque.

Lorsque le ministre du travail avait proposé la « prime Macron » de 1000 €, pour soutenir les « héros du travail », cela m’avait fait sourire doucement. En une semaine, mon chiffre d’affaire s’était multiplié par cinq.  Les cartouches acheminées des caisses par voie pneumatique étaient si nombreuses que j’avais décidé de passer la nuit sur mon lit de camp pour veiller au grain. On n’est jamais à l’abri d’un cambriolage !

Au cours de la réunion de crise qui s’était imposée en fin de journée, j’avais prononcé un bref discours rassurant pour accompagner l’annonce de bonus et le tour avait été joué ; le lendemain matin, tout le monde était sur le pont !

Et puis, cela s’était gâté lentement. Tout d’abord, afin de respecter les règles de « distanciation sociale » les clients avaient été filtrés, ils rentraient désormais au compte-goutte. Et le magasin, pourtant bien approvisionné s’était peu à peu vidé à la satisfaction générale du personnel.      
Hélas, le lendemain deux magasiniers et trois caissières avaient manqué à l’appel. Puis un livreur avait téléphoné pour dire qu’il avait de la fièvre. Les hôtesses ne servant plus à grand-chose, je les avais mises au chômage partiel.

Plus tard, j’avais envisagé d’en mettre la moitié au chômage technique mais je n’avais pas eu à me donner cette peine. Lorsqu’une ambulance était venue chercher une caissière, un vent de panique avait soufflé sur le personnel. J’avais eu beau proposer de doubler la prime, de distribuer de la chloroquine et même menacer de tous les licencier, mes efforts avaient été vains. Peu à peu, tous m’avaient lâchement abandonné. Disparus, envolés, les employés !

Désormais, seules les caisses automatiques en état fonctionnent de temps en temps pour les rares client qui osent encore parcourir les allées qui ne sont plus nettoyées. Les rayons lugubres sont pratiquement vides ; apparemment, plus aucun livreur ne circule.          
Je suis seul à l’étage.  Mes provisions s’amenuisent mais la bonne nouvelle c’est que je viens de terminer de compter l’argent. Le coffre déborde de billets.  Le convoyeur de fonds ne devrait pas tarder…

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