Il est difficile d'éviter le coronavirus. Voici du moins une information qui fait le lien avec un autre sujet déjà abordé dans ce blog, celui des syndicats professionnels russes. Parlons un peu de l’Alliance des médecins (Альянс врачей). Elle se positionne conme un syndicat indépendant des travailleurs médicaux, et fait partie de l’Union des syndicats d’opposition, proche d’Alekseï Navalny, avocat et militant politique connu pour être un opposant à Vladimir Poutine. Elle a été fondée en 2018, et est depuis sa fondation dirigée par Anastassia Vassilieva, une ophtalmologue.
Ce n’est pas la principale union professionnelle du secteur de la santé, loin de là. La première place est occupée par l’Union des travailleurs de la santé (Общероссийский профессиональный союз работников здравоохранения ), forte de 3 millions d’adhérents, et active, notamment, sur la question des salaires (les médecins et les personnels de santé sont particulièrement mal payés en Russie).
L’Alliance des médecins s’est fait sa place, notamment dans les médias, en dénonçant la situation du système de santé que l’opinion russe place au premier rang de ses préoccupations et les méfaits de «l'optimisation hospitalière ». Elle a soutenu la grève des médecins du centre de cancérologie Blokhine à Moscou, voilà aussi un sujet sur lequel j’aurais du faire un billet.
Elle a publié une vidéo sur YouTube, critiquant le manque de masques et de protections individuelles dans les hôpitaux russes, et suggérant que les autorités dissimulaient le nombre réel de patients atteints du Covid-19. Elle y relayait notamment l'information selon laquelle 240 lits étaient occupés dans un hôpital de Moscou par des patients atteints de pneumonie, sans lien déclaré avec le coronavirus.
Cette diffusion lui a valu l’ouverture d’une enquête préliminaire, sur la base d’une loi récente, opportunément votée par le Parlement russe, sanctionnant la diffusion « d'informations sciemment fausses sur la propagation du coronavirus Covid-19 ». La peine encourue peut aller jusqu’à trois ans de prison, nul doute qu’elle ne sera pas appliquée aux autorités qui se laisseraient aller à mentir sur ce qu'elles ont fait ou n'ont pas fait. Entendue par les enquêteurs, Anastassia Vassilieva leur a déclaré que l’Alliance était « un syndicat et [qu’elle ne pouvait] pas garder le silence sur le fait que les travailleurs médicaux ne reçoivent pas d'équipement de protection. »
Le bras de fer s’est poursuivi. Alliance a lancé une collecte pour financer des achats de masques, combinaisons, lunettes et gants. Lors d’une livraison de ces équipements de protection à l’hôpital d’Okoulovla, une petite ville de 12 000 habitants de l’oblast de Novgorod (la grande), qui avait connu une grève des services de premiers secours en 2019, Anastassia Vassilieva et 12 autres membres de son syndicat ont été contrôlés sur l’autoroute. Vassilieva a été ensuite emmenée au poste de police. Elle a été condamnée à 800 roubles (10 euros) d’amende par un tribunal de l’oblast de Novgorod pour refus d'obéissance à un officier de police. Mère d’un enfant de moins de quatorze ans, elle ne peut être incarcérée en Russie. Elle a fait appel de ce premier jugement. Elle est également sous d'autres procédures, pour violation du confinement, pour rébellion et pour avoir refusé sur fournir des informations sur ses sources pour la vidéo diffusée sur YouTube.
Kommerzant (31 mars) - RBK (3 avril 2020) - Meduza (3 avril 2020) - MBKh (3 avril 2020)