La Fédération de Russie a hérité de son passé soviétique des internats psycho-neurologiques (IPN, PNI dans l’abréviation russe), souvent éloignés des villes, ou encore d’une taille disproportionnée, dans lesquels étaient hébergées les personnes handicapées présentant une déficience intellectuelle ou un handicap psychique. La prise de conscience, au début des années 2000, des abus qui avaient été commis dans ces établissements, la pression des associations, la ratification de la Convention des Nations-Unies relative aux droits des personnes handicapées en 2012 ont conduit à une remise en cause de ce modèle d’organisation, et à promouvoir des approches inclusives, intégrant les personnes handicapées dans le milieu ordinaire.
Cette orientation fait consensus, et, sur l’initiative des associations et des ministères de la protection sociale, dans une partie au moins des régions, la prise en charge et l’accompagnement de la personne handicapée dans sa famille, l’accueil de jour, les formes d’hébergement alternatives, dans des appartements ou dans des petites unités se développent.
L’évolution est plus rapide pour les enfants que pour les adultes handicapés, et la transformation des IPN, qui accueillent des adultes, est moins facile. Ils étaient en 2016, selon des données communiquées par le ministère du travail et de la protection sociale, au nombre de 504, et 148 800 personnes y étaient hébergées. Ils font l’objet d’un plan de modernisation, commençant par une mise à niveau pour les normes de sécurité. Un effort important est fait, j’ai pu le constater dans la dizaine d'établissements que j’ai visités, d’Oussourisk à Tcherepovets, pour y élargir les méthodes de réadaptation fonctionnelle et pour que les résidents puissent y avoir une vie sociale et collective.
L’option prise est également de réduire le nombre des résidents, en leur ouvrant d’autres possibilités de vie, en milieu ordinaire, au dehors des internats. Le ministre du travail et de la protection sociale, Maksim Topiline, a ainsi indiqué lors d’une réunion en mars dernier du conseil du patronage, un comité compétent en matière d’action sociale placé directement auprès de la vice-première ministre chargée des affaires sociales, Tatiana Golikova, que 40 à 45 % des personnes hébergées dans les IPN pouvaient vivre dans un logement ordinaire avec un accompagnement social.
Mais d’autres logiques sont aussi à l’œuvre : dans le cadre du projet « Démographie », un des axes présidentiels stratégiques qui organisent l’action des pouvoirs publics russes, la construction d’établissements sociaux et médico-sociaux pour personnes âgées ou pour personnes handicapées a été relancée, et certains projets sont d’une taille disproportionnée : un PNI de cinq bâtiments pouvant héberger 700 personnes à Novgorod, un autre pour femmes de 400 places à Nekrassovka, près de Khabarovsk, …
C’est contre de tels projets qu’a été lancée par des associations et des travailleurs sociaux une pétition, dont je traduis maintenant des extraits :
« Une politique de ségrégation et de concentration plaçant des personnes par centaines, voire par milliers dans des internats psychoneurologiques, est une forme déraisonnable et non professionnelle de mise à l’écart de la société de citoyens considérés comme indésirables ».
« Cette organisation des services sociaux ne peut en aucun cas être considérée comme relevant de l’aide ou de la protection sociale, dans la mesure où elle condamne une personne handicapée à souffrir toute sa vie, la prive de sa dignité humaine et de ses possibilités d'adaptation sociale, et viole ses droits civils ».
« Nous, psychologues professionnels, éducateurs, thérapeutes et aides de ces personnes, prouvons chaque jour dans la pratique qu'il existe des alternatives aux PNI existants et que les autres modes de vie des personnes souffrant d'un handicap mental ne sont pas dangereux pour les autres citoyens ».
Pourquoi ce risque perçu ou réel d’un retour en arrière, pourquoi avoir envisagé de construire des établissements médico-sociaux à la soviétique ?
- Comme le soulignent les auteurs de la pétition, le handicap fait encore peur en Russie. Cette appréhension est entretenue par une extrême-droite très présente dans les institutions russes, qui aime exclure et se nourrit d’entretenir le rejet de ceux qui sont différents, quelle que soit leur différence.
- Le gigantisme plait, surtout quand la pensée est courte. Le temps n’est pas au small is beautiful, et les gros marchés sont tentants pour le décideur.
- L’évolution de structures comme les IPN est difficile à faire : elle consomme des moyens, elle suppose d’innover dans les méthodes, de s’ouvrir sur l’extérieur. Elle sera longue et ardue. Elle n’avance pas assez vite, et les carences sont maintenant portées sur la place publique. La tentation est à nouveau forte de faire du neuf, surtout si c'est pour faire la même chose qu’avant.
De bien mauvaises raisons. Face à ces contradictions, la force nouvelle de la Russie, ce sont ses associations, c’est sa société civile, celle qui s’attaque aux enjeux d’aujourd’hui. Elles portent le débat. Elles défendent les valeurs du social. Elles font avancer l’action sociale. Dans son intervention de mars 2019, le ministre du travail et de la protection sociale avait indiqué qu’il inciterait les régions à discuter des projets avec les associations impliquées dans la défense des droits des personnes handicapées. C’est aussi la bonne méthode.
Ministère du travail et de la protection sociale de Russie - Portail miloserdie.ru - Portail miloserdie.ru - Et en français, à actualiser : Internat psychoneurologique (Russie)
Post-scriptum : Takie dela rapporte le 29 octobre que des parents d'enfants handicapés et une centaines d'associations (NKO) ont écrit au président de la Fédération, Vladimir Poutine une requête en vue de l'arrêt du programme de construction de nouveaux internats psycho-neurologiques dans le pays.