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La Russie est pour moi un pays doux — à l’image des passagers du métro de Moscou, toujours calmes et mesurés — et tout autant inventif, je trouve que l’on s’y cherche, avec audace, de nouvelles libertés. Je garde d’habitude pour moi cette image, à l’encontre des stéréotypes, mais peut-être aussi naïve. Mais ce que j’ai lu de Sacha Starost me donne envie de parler de cette soif de création et d’expression, sur des choses que finalement nous taisons.
Je suis pour vous présenter cette jeune artiste le fil de l’article qui lui est consacré dans la Wikipédia en langue russe (il faut peut-être faire vite, une procédure de suppression a été lancée dans cette encyclopédie collaborative à son encontre), et je renvoie le lecteur zélé à un long interview qu’elle a accordé à Daria Blagova, pour Aficha Daily, que j’ai bien sûr envie de traduire, ce sera pour une autre fois.
Sacha Starost, née en 1988, a fondé le ou l’un des premiers mouvements russes d’auto représentation des personnes souffrant de troubles mentaux, Psikhoaktivno («Психоактивно»), qui milite pour les progrès en psychiatrie et santé mentale, et le respect des droits des personnes handicapées mentales.
Elle estime être une experte en communication améliorée et alternative, un terme générique qui englobe les méthodes de communication utilisées pour compléter ou remplacer la parole ou l'écriture pour les personnes ayant une déficience dans la production ou la compréhension du langage.
Elle souffre de troubles mentaux, qu’elle ne cache pas et qu’elle décrit. Selon elle, on lui a diagnostiqué des troubles bipolaires affectifs, anxieux et phobiques, une schizophrénie paranoïde et un trouble schizo-affectif. Elle réfute le diagnostic de schizophrénie paranoïde, penchant plutôt vers d’autres troubles du spectre schizophrénique, et se dit « hautement fonctionnelle », signifiant par là que ses troubles mentaux ne l’ont pas privé de ses capacités intellectuelles et de sa force de travail.
Sacha Starost a réalisé plusieurs performances, dont une auto-flagellation, interrompue par le public, au dernier acte de la pièce I burn présentée en février 2018 au théâtre documentaire de Moscou. Elle l’a commentée ainsi : « l’interprétation la plus simple à donner de mon travail, c’est que l’auto-flagellation est ce que subit toute personne appartenant à un groupe opprimé. C’est à la fois le système et un sentiment intérieur qui la pousse à le faire. Cela va de la haine de soi à la peur de cette partie de soi qui est anormale ».
Elle est également membre du groupe de création Perezagrouzka, un groupe musical. Celui-ci a organisé le 8 mars 2019, pour la journée internationale des femmes, une action mémorielle dans le centre de Moscou. Ont alors été échangés avec les passants des moulages intimes de corps de femmes ayant subi des violences dans des institutions closes, commissariats, hôpitaux, internats psycho-neurologiques.
Elle a participé à différentes actions du groupe Grouz 300, dont une performance contre la torture, en septembre 2018, à Moscou, avec Katrin Nenacheva, une autre artiste, qui était enfermée dans une cage, enveloppée dans un film translucide. Avec comme légende : « Dans cette cage, il y a un corps. Un corps qu’ils ont torturé. On torture en Russie chaque jour, derrière les portes fermées des prisons, des commissariats de police, des internats psycho-neurologiques, des hôpitaux psychiatriques. … ».

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Elles ont été arrêtées pour avoir organisé cette manifestation sans information préalable des autorités, et ont passé la nuit au poste. D’autres performances ont précédé ou suivi celle-ci, parfois plus provocatrices, comme cette autre, « immersive », qui a eu lieu en février 2019 à Moscou : elle était également consacrée à la torture, et des spectateurs étaient invités à simuler des scènes de harcèlement et d’humiliation, pour inciter le public à les interrompre — ce que certains ont tenté, mais n’ont su faire.
Sacha Starost fait aussi, j’y reviens, partie des fondateurs du mouvement Psikhoaktivno. Il comprend des artistes, des activistes, des journalistes, des médecins, des bénévoles, dont beaucoup souffrent de différents troubles mentaux. Ils se sont réunis pour la première fois à Moscou, en décembre 2017, au centre Sakharov Leurs objectifs sont de :
- combattre la stigmatisation des personnes handicapées mentales et affirmer leur droit à parler ouvertement de leur état sans avoir peur d’être jugées et dépréciées.
- lutter contre contre les traitements inadaptés, les hospitalisations forcées et l’abus des psychotropes qui leur sont imposés, sans cependant s’opposer par principe à la psychiatrie.
- défendre leur droit au travail et à la vie en société.
Une trentaine de psycho-activistes ont participé à la manifestation du 1er mai 2018 à Moscou, avec des pancartes protestant contre leur stigmatisation. 25 d’entre eux ont été arrêtés par les forces de l’ordre à mi-parcours — bousculés, et poussés à des crises de panique, selon les manifestants —, au motif que leurs mots d’ordre n’étaient pas cohérents avec les objectifs du défilé. Ils ont été relâchés trois heures après.
L’année suivante, les psycho-activistes ont défilé à nouveau, cette fois mêlés au bloc de gauche, sans incident.

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J’arrête là, beaucoup de choses sont déjà dites, et le lecteur trouvera dans le chapeau de ce billet d’autres des compétences de Sacha Radost. Que faut-il en penser ? Peut-être rien, tout simplement : il est bien d’arrêter de penser et de juger, et meilleur de simplement écouter les autres, quant ils vous sont semblables ou quand ils vous sont différents.
Et peut-être aussi se dire qu’il est bon que tous puissent s’exprimer — ici, en Russie, une Russie douce de ses espoirs de liberté —, et que l’expression sur la différence a plus de valeur que les discours connus d’avance et convenus.
Wikipédia en russe (article sur Sacha Starost) - Aficha Daily (13 mars 2018)
Discographie :
- Simulacra Esperanto & Старость [Simulacra Esperanto & Starost] (2017)
- Старость — Новое Время [Starost — Une époque nouvelle] (2018)